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Zoé Allen
21 novembre 2020

Le Musée Mode & Dentelle de Bruxelles propose pour la première fois en tant qu’institution muséale en Belgique, une déconstruction de la masculinité dans la mode et de ses a priori à travers son exposition Masculinities. Comment est-ce qu’un bout de tissu peut avoir autant d’impact sur notre liberté ? Le vêtement nous accompagne dans notre vie de tous les jours, nous nous créons un style propre et ce style influence la manière dont les autres et nous-même nous nous percevons. La culture a su depuis toujours nous imposer une vision genrée des habits que nous portons, décidant ce qui est pour le département hommes ou femmes. Un habit n’a pourtant pas d’appareil reproducteur, alors comment peut-on savoir ce qui est masculin ou féminin ? Les couleurs, les coupes ou la matière sont divisées et rangées précieusement dans des petites cases binaires. 

La mode est encore souvent considérée comme produit issu de l’artisanat ou de l’industrie à l’apparente frivolité plutôt que comme art des plus sérieux. Il est intéressant de se pencher un peu sur cette question avant de se concentrer sur l’exposition, afin de ne pas livrer uniquement une critique d’ordre sociologique. Le vêtement, en plus de sa valeur esthétique, peut également prendre une valeur historique, car il nous permet de nous plonger dans les us et coutumes d’une période, dans les tendances et les innovations textiles. Ces dernières décennies, la mode a pris beaucoup d’ampleur dans le domaine public et via les réseaux sociaux, et même si la haute couture ne reste accessible qu’à une petite partie de la population, la diffusion de l’image de ces vêtements questionne l’ordre établi tout comme pourraient le faire les arts visuels. Le musée, loin de figer l’habit, permet à la mode de s’exprimer dans une différente temporalité en lui donnant une voix à l’heure de la fast fashion.

Une centaine de silhouettes et d’accessoires sont exposés par thématique et ordre chronologique sur les trois étages du musée. Les bases archétypales de la masculinité à travers le costume cravate sont posées dans la première partie. Avant cela, un costume datant du 18e siècle est un point d’entrée de la visite. Symbole de réussite sociale, ce costume, image de masculinité, passe par des velours de soie frisée et des broderies de guirlandes de fleurs en fil de soie. Le tout dans des tons rosés, qui questionnent la célèbre distinction bleu-rose que la société actuelle nous impose depuis l’enfance. L’accessoire, d’habitude associé à la femme, est interrogé dans son incarnation d’une masculinité virile et aventureuse par une montre, une ceinture ou encore un chapeau. Cette soif d’aventure contraste avec l’image de l’homme respectable et renvoie à la liberté du pilote d’avion, du cow-boy ou encore du motard.

On s’intéresse ensuite à des tendances plus hétérodoxes voire déviantes dans la deuxième partie. La jupe reste encore aujourd’hui un tabou pour l’homme occidental car elle est associée à la féminité. Pourtant, l’homme a toujours porté des vêtements non bifides à différentes périodes de l’histoire ou encore aujourd’hui, dans différentes cultures. Des créateurs comme Jean Paul Gaultier la mettront à l’honneur. Du dandy à l’adolescent rockeur, les designers cherchent à mettre en avant la vulnérabilité romantique du monde de la nuit, loin des normes patriarcales. La nightlife est bien différente de la daylife. Les couleurs sortent du genre pour briller à nouveau avec la Peacock Revolution. Walter van Beirendonck ouvre la porte aux raves et au fétichisme, ce qui permettra de mettre l’homme à nu dans son désir et sa fragilité.

La dernière partie se termine par un questionnement d’une mode non binaire et intercommunautaire dans un contexte plus fluide où la mode unisexe vient s’imposer chez de nombreux créateurs. La vision binaire de l’habit restreint la créativité des designers, mais également la liberté des hommes de pouvoir exprimer leur sensibilité par des vêtements qui les définissent et leur plaisent. Il commence à y avoir un changement de mentalité et plus d’ouverture vis-à-vis des vêtements moins traditionnellement associés à l’homme, mais ceux qui osent franchir le pas restent un public de niche et souvent militant.

Masculinities, avec "s", car les masculinités sont plurielles et dépassent l’idéal-type d’une masculinité unique. Il y a autant de masculinités que d’hommes. La mode devrait être plutôt un reflet de notre personnalité d’un jour à l’autre plutôt qu’un uniforme à suivre, un code imaginaire de ce qu’est ou n’est pas un homme, un vrai. Belle déconstruction de la norme de genre de la part du Musée Mode & Dentelle, dont la collection s’inscrit dans un débat très actuel.

 

Masculinities 
Musée Mode & Dentelle
rue de la Violette 12 
1000 Bruxelles
Jusqu'au 13 juin 2021 
Du mardi au dimanche de 10h à 17h
Le musée annonce qu'il rouvre à partir du 15 décembre
Vente des billets en ligne 
https://www.fashionandlacemuseum.brussels

Zoé Allen

Journaliste

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