Adrien Lucca, l'alphabet de la couleur

Gilles Bechet
24 juin 2023

Adrien Lucca est accueilli par le BPS 22 pour sa première exposition institutionnelle. Une quête artistique et scientifique pour percer les mystères de la lumière et de la couleur. Jusqu'au 28 août.

Toute l'œuvre d'Adrien Lucca est marquée de l'obsession de percer l'éternel mystère de la lumière et des couleurs. Une énigme à chaque fois recommencée qui a fasciné bien des artistes. Le parcours commence par une installation immersive dans une fausse pénombre. Contre le mur, des blocs de verre de différentes couleurs, dans l'espace de grands volumes, sphères à facettes biseautées et, sur l'autre mur, une fresque avec des carrés blancs et des petits pois de couleur. Il suffit de rester quelques instants pour se rendre compte que la couleur des objets change lentement, comme balayée par des vagues lumineuses, imperceptibles pour le spectateur.

Derrière cette illusion, une batterie de synthétiseurs de lumière blanche programmables, conçus par l'artiste, qui projettent des lumières changeantes sur les objets et les surfaces. Comme la couleur de la lumière ne change pas, elle est toujours blanche, le spectateur ne perçoit pas la cause des variations, seulement ses effets. La couleur n'existe pas en tant que telle, elle n'a pas de matière, elle est telle que nous la voyons à un moment donné.


Artiste et chercheur

Les blocs de verre bruts rassemblés au sol par couleur sont pareils à ceux utilisés comme matière première pour les vitraux, un domaine de création qui intéresse particulièrement l'artiste. Ces échantillons proviennent de la verrerie Lamberts à Waldsassen en Bavière, une des deux seules fabriques en Europe où sont encore fondus les verres pour vitraux.

C'est l'adjonction d'oxydes métalliques, cobalt et manganèse pour le bleu, cuivre pour le rouge ou sélénium pour le jaune orangé, qui donne au verre sa couleur, pigments par ailleurs semblables à ceux utilisés dans la fabrication des peintures.

Chez Adrien Lucca, l'artiste se confond souvent avec le chercheur. C'est pour cela qu'il n'a pas hésité, avec candeur et humour, à emprunter le titre de son exposition à un volume de la collection Que sais-je ? découvert dans le grenier de ses parents et dans lequel il s'est plongé à l'aube de son parcours artistique. La galerie à l'étage revient sur ce parcours avec des carnets d'étude, des notes et des dessins qui sont autant des travaux plastiques que des recherches scientifiques chromatiques. On y voit des diagrammes et chartes de couleurs, exécutées avec précision au tire-ligne avec l'aide d'équations et d'une calculatrice. Dès qu'on fixe une composition, certaines couleurs apparaissent pour varier dès qu'on se déplace.


Restituer le spectre

La question centrale qui sous tend son travail est celle de la représentation de quelque chose d'invisible. En travaillant sur la perception des couleurs, on joue bien évidemment sur l'illusion, comme dans ces dessins qui nous happent dans leur évocation de l'infini sidéral. Générée par ordinateur, la composition met en œuvre des paramètres très simples pour suggérer un effet de lumière et de profondeur. Et quand on regarde de près, on se rend compte que ces subtils et fascinants dégradés entre le noir et le blanc sont en fait uniquement constitués de petits pixels de couleur verte, rouge et bleue.

Après avoir longtemps tourné autour de l'idée, Adrien Lucca s'est finalement mis à la peinture pour tenter de restituer en bandes monochromes successives l'étendue du spectre de la lumière. « Le spectre de lumière est souvent représenté de manière peu réaliste. Le spectre de lumière standard n'existe pas, car il varie en fonction de différents facteurs comme les circonstances atmosphériques ou l'heure », explique l'artiste.


Refuser les anecdotes

Sous la grande halle, on peut découvrir des installations de l'artiste conceptuel italien Pietro Fortuna. Sur des tables d'extérieur, des espaces de rangement industriels sont disposés, pareils à des ready made, des objets divers qui n'ont a priori que peu ou pas de rapport l'un avec l'autre. De manière radicale, l'artiste explique refuser les anecdotes et la narration sur son œuvre, pour révéler le véritable être des choses. « Une sorte de simplicité qui, en se donnant elle-même, tente d'avoir un pouvoir presque hypnotique. » Il laisse ainsi aux objets la seule signification de leur forme... ou celle que le spectateur voudra bien leur donner.

Dans la dernière petite salle, Emelyne Duval propose ses intrigants collages petit format. L'artiste s'empare d'anciens portraits photographiques de personnes probablement issues de la bourgeoisie industrielle carolo, qu'elle déforme et métamorphose avec humour et impertinence. Elle combine aussi des dessins avec des bouts d'image et des fragments de vieux papiers déchirés dans des compostions fragiles et raffinées.
 

Adrien Lucca
Le secret des couleurs
Pietro Fortuna
Glory VI. Au temps où nous n'étions pas des hommes
Emelyne Duval
Anachronismes
BPS22
Boulevard Solvay 22
6000 Charleroi
Jusqu'au 27 août
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
www.bps22.be

Gilles Bechet

Rédacteur en chef

Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT

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