Huit artistes africains au Wiels

Muriel de Crayencour
14 juillet 2019

Sandrine Colard, professeure d'histoire de l'art à l'université de Rutgers (Etats-Unis) et directrice artistique de la biennale de Lubumbashi en novembre de cette année, a construit au Wiels une exposition vivifiante autour de huit artistes africains dont cinq furent résidents du centre d'art. Une claque du même ordre que lors de chacune de nos visites à la biennale de Dakar.

L'émergence des scènes artistiques africaines se vit en direct lors de la biennale Dak'Art au Sénégal ou celle de Lubumbashi en RDC : nous vous en parlions en mai 2018. Les artistes africains court-circuitent sans complexe les récits classiques de l'histoire de l'art. Ils s'emparent autant des objets de l'art traditionnel d'Afrique que des chef-d'œuvres de l'art occidental ou des pratiques des artistes contemporains occidentaux. Sans frein et avec une vivacité réjouissante. C'est à voir aussi au Wiels dans l'exposition Art in the Afropolitan Age.

Le mouvement au cœur de leur création

L'exposition montre tant de la peinture que de la photographie, de la vidéo, des installations, ... Introduit au début des années 2000 et principalement conceptualisée par le penseur Achille Mbembe, le terme afropolitanisme décrit les cultures transnationales et souvent citadines de nombreux africains ou afro-descendants du XXIè siècle, à la fois sur et hors du continent. L'idée afropolitaine s'ancre historiquement dans les mouvements continus qui ont caractérisé les populations africaines - des migrations de main-d'œuvre et de l'esclavage, aux diasporas et exils postcoloniaux - et dans les confluences étrangères vers l'Afrique - qu'il s'agisse de conquêtes coloniales, de migrations économiques ou autres. 

Dès l'entrée, les photographies de Georges Senga (1983, Lubumbashi), dont nous vous parlions il y a quelques mois lors de son expo à la Fondation A. Avec sa série Cinéma, il montre comment en RDC, les grandes salles de cinéma qui présentaient des films internationaux, outils d'éducation et de propagande coloniales du Congo belge, avec leurs conceptions européennes de la modernité, sont aujourd'hui obsolètes et abandonnées. Les photos sont accompagnées des abonnements garnis de cachets de ces anciens lieux. La deuxième série, Vendeurs de rue, présente l'essor des DVD piratés, vendus dans de petites échoppes. Petit-fils d'un projectionniste de l'un des plus vieux cinémas de Lubumbashi, Senga témoigne de la transition entre une modernité réservée aux cinéphiles qui avaient accès à ces cinémas et la prolifération actuelle d'images en accès illimité. 

A droite, vaste installation de Sinzo Aanza (1990, Kinshasa), écrivain et artiste, qui s'est fait connaître avec son roman, Généalogie d'une banalité, qui relate les conséquences dramatiques de la richesse de son pays natal. Avec Pertinences Citoyennes, il explore avec des photographies de familles africaines en costume traditionnel, film, des objets détournés, comme cette pierre dressée, recouverte d'un couvre-chef traditionnel, ou ses costumes réalisés en wax - comment l'organisation traditionelle de la société a été rendue inopérante par le capitalisme féroce qui sévit aujourd'hui au Congo.

Remarquables portraits Pamela Phatsimo Sunstrum (1980, Botswana), qui explore par la peinture la tradition du portrait photographique de studio africaine des XIXè et XXè siècles, mais aussi du portrait dans la peinture classique occidentale. Ses personnages, bien campés dans des décors intemporels, sont hiératiques et chargés d'une belle présence. Un questionnement extrêmement subtil sur l'art du portrait. Pélagie Gbaguidi (1965, Dakar) montre deux toiles suspendues comme maculés de couleurs : Dé-fossilisation du regard. Dialogue avec la Madonna del Parto ont été créées lors d'une résidence à la Fondation Civitella Ranieri en Italie. L'artiste s'empare de la palette subtile de la peinture de la Renaissance pour raconter les orages contemporains. 

On ne présente plus les formidables machines en carton de Jean Katambayi Mukendi (1974, RDC). Electricien et mathématicien de formation, l'artiste montre ici un grand robot : Voyant, ainsi qu'une autre sculpture qui mixte fragilité des matériaux et construction technique. Et une série de dessins, Afrolampes de Katambayi, entamée en 2016 lors de sa résidence au Wiels, des ampoules électriques au design fantasmagorique, d'un graphisme puissant et séduisant. 

Notez encore Nelson Makengo (1990, Kinshasa) et ses vidéos Nuit Debout tournées à Kinshasa et qui font résonance au mouvement contestataire Nuit Debout qu'il a croisé en 2016 lorsqu'il était étudiant à Paris ; Simnikiwe Buhlungu et Emeka Ogboh. A ne pas manquer !

Multiple Transmissions - Art in the Afropolitan Age
Wiels 
354 avenue Van Volxem
1190 Bruxelles
Jusqu'au 18 août
Du mardi au dimanche de 11H à 18h
www.wiels.org

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.

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