Le regard tendre d'Alice Neel

Muriel de Crayencour
03 mars 2022

Il ne reste que quelques jours mais pourquoi se priver d'une telle régalade? La Xavier Hufkens Gallery présente une série de portraits de l'immense Alice Neel.

La peintre américaine Alice Neel n'a que très peu été exposée de son vivant. Artiste femme, qui fit fi de l'abstraction pour continuer à pratiquer une peinture figurative, représentant les personnes, lieux et objets qui l'entourent, elle n'intéressait pas le marché de l'art de l'époque. Nous vous parlions dernièrement de son exposition au Guggenheim Bilbao.

C'est précisément Xavier Hufkens qui a présenté pour la première fois Alice Neel en Belgique, se concentrant sur sa peinture de portraits. Cette fois encore, une petite vingtaine de toiles invitent des personnages au regard intense dans l'espace de la galerie. La silhouette est esquissée en à peine quelques traits de crayon. Ensuite, à main levée, geste souple du pinceau, Neel peint les yeux - toujours en premier - fenêtres de l'âme. Puis autour, la chair du visage. Toujours la douceur du trait, moelleux, en contradiction avec la frontalité et la dureté de la représentation. Neel peint crument mais avec tendresse.

Voyez ce jeune enfant : Olivia, 5 mois, les yeux louchant un peu, les bras et les mains comme des fleurs, tentant de se tenir bien droite dans sa chaise jaune. Avec cet arrière-plan vert d'eau, orné de feuilles souples.

Encore cette souplesse dans le trait du pinceau, pour ce double portrait, Sam and David : d'immenses yeux bleus nous fixent, encadrés par une chair rosée, le volume du visage naissant de cette délicate palette de teintes de peau, du rose au jaune en passant par le vert, ajustées les unes aux autres avec une grande intelligence. L'autre personnage, beaucoup plus âgé, la peau plus foncée, burinée. Et ces grandes mains, comme des barques, enserrant gracieusement le corps du petit garçon pâle. Les regards, les postures, les gestes... au travers de tout cela, Neel ne fait pas seulement deux portraits, elle raconte le lien, l'attachement, la tendresse.

Voyez aussi le portrait de Muriel Gardiner Buttinger, le portrait d'une femme âgée : son regard à la fois doux et triste, la tête penchée sur le côté, une posture bien plantée et fragile à la fois. Neel a capturé la fragilité et la perte des illusions qui viennent avec le temps qui passe. C'est à la fois tendre et cruel, bouleversant.

C'est à voir jusqu'à ce samedi 5 mars. C'est court, mais ça vaut le coup !

Alice Neel 
Seeing who we are ?
44 rue Van Eyck
1050 Bruxelles
Jusqu'au 5 mars
Du mardi au samedi de 11h à 18h
xavierhufkens.com

 

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.