C’est à une déconstruction des normes esthétiques et morales, à un questionnement du désir dans le dynamitage des tabous que nous convie l’artiste Aline Bouvy dans son exposition présentée au MAC's jusqu’au 18 septembre.
Le parcours que nous offre Aline Bouvy se place sous le signe d’une déambulation dans les zones du désir libéré, du côté des savoirs féministes des sorcières étouffés par le patriarcat, par le capitalisme. L’insolence, la jubilation libératoire des sculptures, des installations éclatent dans la série Urine Mate qui peut se lire comme une déclinaison féministe de l’urinoir de Marcel Duchamp.
Photographies de nus masculins, décor de mauvaises herbes sauvages, sculptures en plâtre mâtiné d’urine de chiens errants, coïtant… le regard d’Aline Bouvy se tourne vers ce que l’ordre social classe dans le réprouvé, l’obscène et, bousculant les partages entre le pur et l’impur, elle libère d’autres manières d’exister, de créer, de jouir qui échappent au contrôle et au bréviaire (évolutif) des bonnes mœurs. Son saisissant travail du linoléum selon la technique de la marqueterie, sa série de sculptures en plexiglas thermoformé (Empathy) brouillent les territoires des techniques, du genre, des codes esthétiques. Les vers noirs, mi-étrons, mi-virgules molles, qui traversent les orifices des créatures en plexiglas interrogent les connexions entre le dedans et le dehors, la notion d’intimité, de territoire corporel.
La puissance de la grande installation Potential for Shame illumine la grande salle. Éminemment théâtral, le dispositif visuel-sonore convoque des figures policières nues, androgynes, dansant sur leur haut-relief, proches des bacchanales orgiaques SM ou des personnages de Jean Genet. Paradoxalement, la frise monumentale, les voitures de police (dotées d’intelligence artificielle), les urinoirs renversés, les postures sexuelles des subcultures, l’allusion à la pratique sexuelle des golden showers dégagent une impression de classicisme subversif. Les représentants de l’ordre s’adonnent à la drague, au désordre des sens. La loi implose dans un culte du désir émancipé. La croisière à laquelle le visiteur prend part se déporte du côté de Fassbinder. Dans un brouillage des codes, Aline Bouvy déstabilise d’un même mouvement les stéréotypes du genre et les stéréotypes de l’histoire de l’art, ôtant les œillères, les entraves des normes sociétales et celles de la grammaire esthétique.
Les sculptures à l’extérieur du musée, Enclosure, Bastinado et Wall Piercing affichent clairement les alliances que noue l’artiste : elle les passe avec les femmes-sorcières diabolisées et réprimées par l’ordre patriarcal et la montée en puissance du capitalisme, elle rend hommage à leurs savoirs secrets (comme l’usage de la belladone). La femme-sorcière est une plante belladone dont la nature échappe au pouvoir. Comme Aline Bouvy, elle acte une sécession par rapport à l’ordre établi et à une logique dominante qui étouffe les pratiques et les savoirs en marge. Le titre Enclosure joue sur deux niveaux de sens, d’une part, la politique agricole des enclosures qu’adopta l’Angleterre au 16e siècle, à savoir la privatisation des terres communes, entraînant la loi du profit et la mise à l’écart des femmes, d’autre part l’instrument disciplinaire, la bride de ménagère, bâillonnant et humiliant les femmes qui, parlant trop, dérangent l’ordre public. La belladone plantée par l’artiste dans l’espace intérieur d’Enclosure se pose comme un manifeste, une subversion féminine d’un espace capitaliste étouffant le monde alternatif, païen, des sorcières.
Les œuvres d’Aline Bouvy, plasticienne née en 1974, mettent en scène la question du corps, de la réappropriation de nos corps. La créativité audacieuse, la virtuosité dans l’usage du linoléum, la force plastique des œuvres et, par-dessus, la dose d’humour interdisent toute récupération straight du queer : elles déjouent les renormativisations des cultures LGBT, des pratiques queer. C'est à voir jusqu'au 18 septembre.
Aline Bouvy
Cruising Bye
MACS
Site du Grand-Hornu
82 rue Sainte-Louise
7301 Hornu
Jusqu’au 18 septembre 2022
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
www.mac-s.be
Journaliste
Véronique Bergen est philosophe, romancière et poète. Docteure en Philosophie de l’Université de Paris 8, auteure d’essais philosophiques, dans le champ de l’esthétique, de romans, de recueils de poèmes, de nombreuses monographies sur des plasticiens. Membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, elle collabore à diverses revues, notamment des revues d’art.
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