Amélie Bouvier, la mémoire de l'infini

Gilles Bechet
02 décembre 2021

Harlan Levey projects accueille la troisième exposition d'Amélie Bouvier, qui s'inspire de la fragilité de la mémoire et de l'infinité des espaces intersidéraux.

Les éclats lumineux des astres que nous contemplons dans le ciel sont parfois des traces de corps célestes déjà disparus. Sur une autre échelle de la mémoire, les traces des observations astronomiques effectuées, il y a une centaine d'années pâlissent également et sont menacées de disparition. Fascinée par l'espace et ses champs d'étoiles, l'artiste française Amélie Bouvier a fait en 2019 une résidence à Harvard, où elle s'est plongée dans les archives photographiques rassemblées par Edward C Pickering. Au tournant du 20e siècle, cet astronome et ancien directeur de l'observatoire universitaire recrutait de nombreuses femmes qui analysèrent et annotèrent les plaques photographiques du ciel nocturne. Aujourd'hui, leurs annotations sont en passe d'être effacées de la mémoire commune avec le nettoyage de ces plaques nécessaire à leur digitalisation. Emue par la fragilité de ces témoignages écrits, Amélie Bouvier s'en est inspirée pour créer des dessins à l'encre et à la gouache sur des toiles préparées au Gesso. Ces compositions abstraites superposent des formes tracées à la plume qui semblent se dissoudre comme des fragments de mémoire. La combinaison de la rigueur du trait avec la liberté des formes et la douceur des couleurs créent un effet apaisant. Parfois, l'encre s'échappe des limites de son tracé pour se diffuser tout autour comme une machine humanisée par ses imperfections.


Le macro et le micro

L'artiste propose aussi deux intrigantes boîtes à musique cylindriques inspirées par ses observations du ciel à l'observatoire astronomique Antoine Thomas à Namur. C'est aussi un hommage à la Musique des Sphères imaginée par l'astronome Kepler au 17e siècle. Déjouant les attentes, la céleste musique produit un son cabossé et métallique qui fait résonner encore davantage les immensités astronomiques de l'Univers. Dans une autre très belle série de dessins, « PHP » pour Potentially Hazardous Portraits, l'artiste réalise des portraits subjectifs de quelques-uns des milliers d'objets célestes, astéroïdes et météorites, qui tournoient dans notre système solaire, faisant peser une menace potentielle pour notre planète. Ces dessins à la plume, concentré de traits vibrants, comme posés sur un léger halo, semblent en suspension sur un fond rigoureusement quadrillé. Dans la partie inférieure est dessinée une frise de ce qui pourrait être des micro-organismes cellulaires, bactéries imaginaires incrustées au cœur de la roche céleste. Comme si le télescope se réglait alternativement sur le macro et le micro. L'exposition se boucle par une double vidéo où Amélie Bouvier met en parallèle des images des plaques photographiques de Harvard avec un texte de son père, qui évoque des rêveries nocturnes et la mémoire comparée à un poisson monstrueux avalant des mouches à la surface d'un lac.

Amelie Bouvier
Let There Be Night
Harlan Levey Projects
46 rue Jean d’Ardenne
1050 Bruxelles
Jusqu’au 18 décembre
Du mercredi au samedi de 11h à 18h
www.hl-projects.com

 

Gilles Bechet

Rédacteur en chef

Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT