Dans les pas d'André Cadere

Gilles Bechet
06 mai 2023

L'exposition rétrospective que la Fondation CAB consacre à André Cadere nous montre la richesse et la singularité d'une œuvre brève mais majeure qui se rattache à l'art conceptuel et au minimalisme tout en s'en détachant. Jusqu'au 15 juillet.


Ça n’a l’air de rien. Juste une barre de bois rond rythmée de bandes de couleur. Mais cette barre va secouer la scène artistique des années 1970. L’artiste qui en est à l’origine est André Cadere. Décédé en 1978 à 44 ans, il a connu un parcours artistique assez bref. Lorsqu'il arrive à Paris en 1967 depuis la Roumanie, il réalise des œuvres dans la mouvance de l'op art (art optique). Rapidement, il va se lier avec Isidore Isou, roumain comme lui, et les milieux lettristes. Son travail évolue progressivement des peintures en châssis vers des pièces hybrides qui prennent en compte la notion de volume, pour ensuite se détacher définitivement du mur.


Une erreur

La barre de bois rond qu'il fait apparaître à l'automne 1971 va bientôt être la principale expression de ses activités. Décrire l'objet est assez simple. Il s'agit d'une barre de bois polychrome de longueur variable, que l'artiste réalise lui-même et qui est faite d'une succession de segments peints de différentes couleurs suivant un ordre mathématique de permutations prédéterminées au sein desquelles Cadere introduit volontairement une erreur. Un système qui lui a permis de ne jamais réaliser deux fois la même barre.

Si les caractéristiques de l'objet peuvent donc être décrites assez simplement, il n'en va pas de même pour leur raison d'être et de leur impact, qui tiennent autant du concept que de la poésie. Car de quoi parle-t-on ? D'un artiste qui se balade dans une ville de sa démarche lente, portant son travail avec lui là où l'art n'a pas droit de cité. Il fait aussi irruption dans des vernissages, son bâton sur l'épaule. L'œuvre d'art devient un outil d'intervention, mais aussi un objet à la finalité trouble, sinon simplement d'être là. Au sens littéral d'ailleurs, car il lui arrivait de poser sa barre contre un mur sans la tenir près de lui. Il dit d'ailleurs que la barre ne doit pas nécessairement être liée à sa personne.

Les actions de Cadere sont celles d'un outsider à la scène artistique qui cherche à sortir l'art des galeries pour l'emmener dans l'espace public en questionnant l'hermétisme et l'entre-soi du milieu. Ce qui rend ces interventions encore plus belles, c'est cette part qui échappe à toute explication et rationalité.


Établir le désordre

L’artiste a qualifié son œuvre de « peinture sans fin », insistant sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une sculpture mais bien d’une peinture qui ne possède ni recto, ni verso.

Toute la difficulté était de montrer une œuvre fugitive, inscrite dans le temps et le déplacement, dans le cadre d'une espace exposition dans un espace fermé.

La rétrospective que propose la Fondation CAB donne un aperçu de toute l'œuvre d'André Cadere, depuis ses premiers travaux liés à l'op art, dont une tapisserie, jusqu'à ses barres posées contre le mur ou au sol réunies comme des constellations au repos. Parmi les œuvre rares, on découvrira Sans titre, un énigmatique rouleau, parsemé de mots, réalisé en collaboration avec le poète et critique d'art Alain Jouffroy et qui, complètement déroulé, s'étend sur une longueur de 24 mètres.

Un des souhaits d'Hervé Bize, commissaire de l'exposition, était de montrer qu'André Cadere était plus que ce trublion disruptif de la scène artistique, qu'il était un artiste complexe, un penseur précurseur de débats qui agiteront le monde de l'art par la suite. Ce qui explique la présence de nombreuses archives, dont des textes. L'un de ceux-ci s'engage de manière assez explicite à « Établir le désordre », alors que, dans un courrier, il oppose aux « arrivistes et dictateurs de l'art » son engagement pour un travail indépendant qui peut être exposé partout en dehors des murs protecteurs des institutions.


Un héros

André Cadere a entretenu des liens étroits avec la Belgique, où il s'est rendu à maintes reprises. On voit notamment des photos de ses déambulations, tantôt cocasses tantôt incongrues, dans les rues de Bruxelles. D'autres photos montrent aussi le Congrès d'art conceptuel qui s'est tenu à La Cambre en juillet 1973 et auquel il a participé aux côtés de Marcel Broodthaers, Daniel Buren, Carl André, Sol LeWitt ou des collectionneurs Nicole et Herman Daled.

Cette exposition invite à redécouvrir cette personnalité singulière du monde de l'art, trop souvent réduite à son outil fétiche, un artiste qui, dans une lettre à Yvon Lambert en 1978, écrivait à ce sujet : « Je veux dire aussi, de mon travail et de ses multiples réalités, il y a un autre fait : c’est le héros. On pourrait dire qu’un héros est au milieu des gens, parmi la foule, sur le trottoir. Il est exactement un homme comme les autres. Mais il a une conscience, peut-être un regard, qui, d’une façon ou d’une autre, permet que les choses viennent presque par une sorte d’innocence. »
 

Andre Cadere
Expanding art
Fondation CAB
32 rue Borrens
1050 Bruxelles
Jusqu'au 15 Juillet
du mercredi au samedi de 12h à 18h
www.fondationcab.com

Gilles Bechet

Rédacteur en chef

Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT

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