La céramiste belge expose à La Verrière les formes virtuoses où l'intérieur danse avec l'extérieur. Jusqu'au 29 juillet.
Anne Marie Laureys réalise des pots qui ne ressemblent pas à des pots. Ils s'enroulent et se déroulent comme de la matière organique. Ou comme des pièces textiles tordues par le vent. Ils ne contiennent rien et ne peuvent rien contenir sinon des émotions et le souvenir des mains qui les ont façonnés.
L'essentiel des 26 pièces qui constituent l'exposition est disposé en cercle, sur leurs socles d'atelier avec leurs traces d'usure et de vie. En visite dans l'atelier de l'artiste pour préparer l'exposition, le commissaire, Joël Riff, l'a reçu comme une évidence. « C'était la rencontre parfaite. Ces pièces n'avaient pas besoin d'un socle ripoliné et fait sur mesure, je préférais qu'ils gardent leur simplicité brute en contraste avec les formes fougueuses et libres d'Anne Marie Laureys. »
On a beau faire le tour de ces sculptures, il est difficile d'appréhender la complexité de leur volume. Comme dans un ruban de Möbius, l'intérieur s'aventure à l'extérieur. Le bord se fait ruban. Le dehors fait la bise au dedans. Comme si la terre s'était mise à danser. Pour obtenir ces formes étonnantes, l'artiste joue avec un tour, son instrument de prédilection, avec lequel elle crée d'inattendues mélodies en trois dimensions. Elle travaille la terre molle, qu'elle laisse tourner et se déformer entre ses doigts, pour ensuite assembler différents éléments avec de la barbotine et créer des excroissances qu'elle va encore modeler sur le tour, faisant naître d'improbables équilibres que seule la cuisson empêchera de s'affaisser. « C'est une recherche qui peut durer très longtemps, jusqu'à plusieurs mois. Parfois ça tombe, parfois ça reste. Puis le jour suivant, on détruit et on recommence. Et au final, c'est toujours la forme qui doit nous parler. »
Dans leur perfection formelle, ces pièces gardent la trace des doigts qui s'est imprimée dans la glaise fraîche. Même si le tour a arrêté sa rotation depuis longtemps, les œuvres semblent avoir gardé en elles quelque chose du mouvement comme des membranes tactiles à jamais figées dans la beauté éphémère d'un instant.
Anne Marie Laureys a étudié la céramique au Hoger Kunst Instituut Sint-Lucas de Gand. Ses premières productions ont respecté la forme classique des poteries symétriques, puis à partir de 2009, elle a commencé à déstructurer la forme pour aller au-delà du contenant. Ses œuvres figurent dans des collections publiques et privées, en Belgique et à l'étranger. Depuis quelques années, elle s'est établie et travaille en pleine campagne à Mont-de-l'Enclus, non loin de la carrière d'où est extraite la terre qu'elle façonne.
La beauté étrange des pièces est renforcée par l'émail poudré qui les couvre comme un fin voile de tissu. « C'est un émail appliqué au pistolet avec de nombreuses couches et des cuissons intermédiaires. Cela leur donne un aspect velouté qui prolonge le côté tactile et organique des formes », explique l'artiste.
La perfection des formes et de la technique d'Anne Marie Laureys est le fruit de dizaines d'années de travail. Pour apprécier le chemin parcouru, elle nous montre aussi des pièces plus anciennes, une coupe, une cruche et un pot à couvercle. Elles sont posées sur une table dont les pieds en céramique reprennent la technique expérimentée dans ses pots qui n'en sont pas avec des éléments déformés, répétés et assemblés.
Dans le cercle des sculptures d'Anne Marie Laureys s'insinue discrètement une petite œuvre d'Auguste Rodin. Empruntée à la collection Emile Hermès, Les Âmes du Purgatoire ou Premières funérailles est une des innombrables études que le sculpteur français avait réalisées pour sa monumentale Porte de l'Enfer. Ces trois corps nus enchevêtrés sur un rocher font curieusement écho aux voluptueuses formes d'Anne Marie Laureys.
Il y a aussi une belle concordance avec les peintures de Maude Maris, cinq toiles disposées en frise qui surplombent l'agora des céramiques d'Anne Marie Laureys. Leurs formes, entre le végétal et l'organique, semblent appartenir au même monde que celui de la céramiste. Pour prolonger l'expérience artistique, l'exposition s'accompagne d'un petit livret où figure également un intrigant texte d'Amélie Lucas-Gary.
Anne Marie Laureys
Bise
La Verrière
50 boulevard de Waterloo
1000 Bruxelles
Jusqu'au 29 juillet
Ouvert du lundi au samedi de 12h à 18h
www.fondationentreprisehermes.org
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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