Art et politique

Joost De Geest
24 février 2016

L’art n’est jamais très éloigné du pouvoir, c’est plutôt le contraire qui est l’exception. Cette situation n’a changé que suite au développement de démocraties modernes. N’oublions toutefois pas qu’il y deux ou trois générations, en Europe, des artistes étaient encore pourchassés ou condamnés à cause d’œuvres déviantes à la doctrine du régime !

Le professeur Katharina Van Cauteren a étudié le rapport entre art et politique dans les anciens Pays-Bas, autour de 1600. Elle a ainsi déterré un artiste oublié : le peintre bruxellois Hendrick De Clercq (1560-1630). A qui elle consacre une exposition et une monographie, qui révèlent d’une façon détaillée l’utilité de l’art dans la propagande politique des Habsbourg.

De Clercq parvient (après un possible voyage à Rome) à collaborer aux festivités organisées pour les joyeuses entrées des souverains (ou de leurs gouverneurs) en dessinant ou peignant des arcs de triomphe et autres. Il gagne ainsi le poste de peintre de cour de l’archiduc Ernest en 1594. Il conservera ce poste important sous le règne de ses successeurs Albert et Isabelle. Il peint alors dans un style que l’on peut qualifier de maniérisme tardif, qui était toujours à la mode à la cour des Habsbourg de Prague.

La situation politique change entretemps. Les Habsbourg conçoivent un plan ambitieux : réunir les branches espagnoles et autrichiennes, en les accouplant, dans le but d'installer un héritier universel qui règnerait sur leurs domaines absolument immenses dans le monde, de Bruxelles, sa capitale, aux Balkans et jusqu'aux Philippines, en Californie et en Amérique du sud, et autres... comme Charles Quint à son époque. Albert et Isabelle n’auront pas d’héritier. Pour cette raison, entre autres, le projet ne verra pas le jour. Snif. Snif (pour les anciens bruxellois) !

Découvrez à Louvain ce qui reste de cet effort de propagande d’il y a 4 siècles ! Cette exposition est une première dans le domaine. Et il s’agit d’un moment clé dans notre histoire. Bruxelles et la forêt de Soignes étaient considérées comme le centre du domaine des Habsbourg. Cette forêt, mais aussi le château de Tervuren et les abbayes et prieurés qui s’y trouvaient, servaient à la cour pour des parties de chasse... et de réflexion. Imaginez la rencontre du peintre Hugo Van der Goes et de l’archiduc Maximilien au Rouge Cloître, à Auderghem. Tout cela faisait partie du domaine impérial.

On découvre aussi dans l'exposition un extraordinaire panorama de Bruxelles, qui sert d’arrière-plan à sept figures allégoriques de planètes. On y retrouve beaucoup de monuments encore existants, dans un environnement profondément transformé depuis. Ces dessins très peu connus sont conservés à Wolfegg, en Allemagne. A remarquer aussi des vues de la forêt de Soignes, dont le château disparu de Tervuren à côté de tableaux illustrant les vertus des archiducs, en présence de nombreux petits anges, qui ne sont, malheureusement, jamais apparus à la cour à laquelle le peintre, le fidèle De Clerck, les avait destinés.

Au moment où le brillant avenir des archiducs se rétrécit aux seuls Pays-Bas espagnols, De Clerck disparait de l’avant-plan pour laisser place à Rubens, grand peintre de la Contre-Réforme, ici et ailleurs en Europe. Le règne mondial des archiducs s’est finalement cantonné à la restauration des valeurs catholiques dans les territoires restés sous contrôle habsbourgeois, c’est-à-dire la moitié des anciens Pays-Bas. L’opération de communication, ambitieuse avec De Clerck, est étouffée et a été oubliée. La réalité a eu le dessus sur la propagande. Mais il est très intéressant de découvrir et de comprendre les idées qui sont derrière cette opération de communication.

Hendrick De Clerck
M Leuven
18 L. Vanderkelenstraat
3000 Louvain

Du jeudi au mardi de 11h à 18h, jeudi jusqu’à 22h
Jusqu’au 15 mai
www.mleuven.be

 

Joost De Geest

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