Voir l’invisible à la galerie Odradek

Dounia Dolbec
09 mars 2023

Jusqu’au 18 mars, la galerie Odradek réunit cinq artistes dans l’exposition collective L’aventure silencieuse des espaces intervallaires.

Le titre de l’exposition, tiré d’une phrase de Rainer Maria Rilke, résume bien l’intention des artistes réunis à la galerie Odradek : donner de la place au rien, faire de l’espace au vide, laisser respirer le silence, le temps, l’invisible. Chacun à sa manière, Kiran Katara, André Lambotte, Jacques Pourcher, Albert Palma, et Frank Vigneron nous laissent voir ce qu’on ne voit pas, ce qui n’est pas peint, dessiné, ce qui se glisse entre les lignes. Ils jouent avec les rythmes, les couleurs et les motifs pour faire apparaître avec poésie et sensibilité les multiples possibilités de représentation et d’interprétation des formes et des signes. Tous ont en commun l'utilisation du trait réalisé à l’encre, la gouache ou le crayon, comme approche technique et esthétique dont la virtuosité impressionne par la précision et la patience qu’elle implique. On retrouve aussi dans ce qui les rassemble une inspiration puisée dans les philosophies et les cultures orientales et des pratiques relevant parfois presque de la calligraphie, de la méditation ou encore des arts martiaux.

Kiran Katara travaille sur la relation entre dessin et écriture, sur la production et la métamorphose des signes. Elle s’intéresse à la texture du papier, au geste de l’artiste, au mouvement issu de cette rencontre. Son approche a quelque chose d’écologique, dans son rapport à la matière, au vivant, à la nature. Elle présente dans cette exposition un ensemble de poèmes visuels où murmurent une multiplicité de sens et de sensibilités.

Tel un artisan, André Lambotte semble tisser plutôt que dessiner. Ses œuvres réalisées au crayon à papier impressionnent par leur niveau de détails, leur vibrante vivacité, leur rythme et leur musicalité. Fruits de la répétition de centaines de milliers de traits, ses dessins fascinent et hypnotisent le visiteur qui plonge dans cette infinité de signes composant une partition absurde ou un étrange paysage.

L’œuvre d’Albert Palma est fortement influencée par son passé de maître en art martial et son attirance pour la culture japonaise, mais ses inspirations sont nombreuses et, par exemple, aussi issues de l’Arte povera italien. Albert Palma propose aux yeux qui se posent sur ses œuvres de suivre une véritable chorégraphie du regard au gré des volumes et formes géométriques. L’artiste développe une pratique performative de la création et peut travailler plusieurs jours de suite pour tracer manuellement les innombrables traits et points qui constituent ses sortes de mandalas contemporains.

Jacques Pourcher associe quant à lui le visuel au sonore, dans une œuvre aux tons pastel où se rejoignent intuition et maîtrise. On y perçoit des traces, des fragments, des mirages, des souvenirs de couleurs vives en voie de disparition. On y lit et y entend le temps, le silence, la ponctuation et la suspension. Jacques Pourcher nous invite à nous déplacer, à nous éloigner ou à nous rapprocher pour savourer les variations de textures et de lumières que dévoilent ses gouaches sur papier.

Spécialiste de la théorie de la peinture lettrée chinoise, Franck Vigneron place la notion de « vide » au cœur de son œuvre et à la base de la conception du paysage. S’intéressant aux « creux », il présente une série d’encres sur papier lumineuses et envoûtantes où le hasard et le déterminisme semblent entrer en symbiose.

Simplicité et complexité se tiennent par la main à la galerie Odradek, où les artistes accueillis combattent la binarité au profit de la multiplicité et s’engagent dans un travail artisanal et duratif à l’encontre de la surproduction et de la numérisation de l’art. Une grande poésie ressort de l'ensemble et de nouveaux espaces physiques et temporels apparaissent entre les traits. 
 

L’aventure silencieuse des espaces intervallaires
Odradek
rue Américaine 35
1050 Bruxelles
Jusqu’au 18 mars
Vendredi et Samedi de 14h à 18h
odradekresidence.be/

Dounia Dolbec

Journaliste

Après une formation en danse classique et contemporaine au conservatoire et des études à Sciences Po, elle s'installe à Bruxelles pour se consacrer à la danse et à la chorégraphie. Journaliste pour le site Mu in the city et le magazine Mouvement, elle s'empare de l'écriture pour partager son goût pour toutes les formes de création contemporaine et sa conviction que l'art a le pouvoir de changer la petite et la grande histoire.