Avec 59 autres musées européens et africains, l'Africa Museum a signé la Déclaration de Dakar, qui vise à une coopération renforcée entre les musées des deux continents. On en parle avec Bart Ouvry, son nouveau directeur.
En avril dernier, l’Africa Museum (anciennement Musée royal d’Afrique central de Tervuren) annonçait avoir signé avec 59 autres directrices et directeurs de musées la Déclaration de Dakar. Point de départ d’une coopération renforcée entre musées d’Europe et d’Afrique, le texte veut en finir avec les rapports encore très coloniaux qui lient les institutions muséales des deux continents. Nous en avons discuté avec Bart Ouvry, le nouveau directeur de l’Africa Museum. Cet ex-diplomate (il a notamment été ambassadeur de l’Union européenne au Mali et en République démocratique du Congo) est arrivé à ce poste en mars dernier, en même temps que quatre autres directrices et directeurs nommés à la tête des Établissements scientifiques fédéraux.
Qui est à l’origine de cette Déclaration de Dakar et quels sont ses objectifs ?
B. O. : L’idée revient à mon prédécesseur, Guido Gryseels, qui constatait que les relations entre musées fonctionnaient encore sur des bases, on peut dire, coloniales, dans le sens où les Kényans travaillent principalement avec les Britanniques, nos collègues d'Afrique de l’Ouest travaillent avec la France, etc. L’idée était donc d’établir un réseau moins bilatéral et de rassembler une quarantaine de musées africains avec une vingtaine d'institutions européennes pour, dans un premier temps, simplement, avoir les contacts des uns et des autres. Personnellement, comme je suis nouveau, cela m’a permis d’apprendre à connaître l’ensemble de mes collègues. Le deuxième objectif touche au contexte des discussions sur la restitution. Un des grands défis de cette problématique est d’améliorer la capacité des musées africains, ce qui demande des moyens et, en amont, de comprendre les défis auxquels nous allons faire face. Par exemple, il existe une organisation internationale, ICOM, qui établit les normes muséales pour l’exposition et la conservation. Certaines de ces normes ne sont peut-être pas réalisables en Afrique. Il s’agit de voir comment les adapter aux conditions climatiques et économiques en Afrique. Puis, le troisième objectif est de mieux travailler ensemble. J’entends par-là, par exemple, qu’il n’y a pas de véritables expositions temporaires montées en Europe qui aient déjà voyagé en Afrique. Certes, des prêts ont eu lieu, mais on n’a jamais su faire une expo à Tervuren qui a voyagé en Afrique, par exemple. Cela doit être un objectif.
Vous évoquez la question des normes muséales. Comment les aménager de façon à ce qu’elles soient plus proches des réalités climatiques et économiques de l’Afrique ?
Même en Europe, des discussions sont en cours au niveau des musées fédéraux pour adapter certaines de nos normes à un contexte de réchauffement du climat. Ces normes ont été établies à une époque où les dépenses énergétiques n’étaient pas encore un sujet sociétal. Ainsi, certaines restent sacro-saintes, d’autres pourraient être revues sans pour autant faire de compromis muséaux. De nouvelles techniques permettent peut-être de les revoir. Quant à l’Afrique, c’est aussi en s’adaptant à l’architecture locale plutôt qu’en important des techniques que les réponses se trouvent. Nous, Européens, devons évoluer et tenir compte des contextes locaux. Renforcer les capacités et les infrastructures en fait partie. C’est un chantier énorme. À Tervuren, par exemple, il n’y a pas de panneaux solaires. Une de mes premières décisions a été d’en installer. Mais c’est à chaque État et à chaque musée d’analyser ses priorités.
Vous parlez de restitution, pourtant le mot n’est pas prononcé dans le communiqué de presse qui a fait suite à la signature de la Déclaration… ?
On n’a pas voulu en faire un sujet au sein de ce réseau, car cela signifierait se substituer aux États qui négocient sur la question. C’est très sensible et lié à un contexte national et à des relations binationales. L’enjeu final évoqué étant de permettre aux Africaines et aux Africains de renouer avec leur passé et leur propre culture, et pour les jeunes générations d’avoir accès à ce patrimoine, nous avons travaillé sur le renforcement des capacités des musées et de notre réseau. Nous souhaitons développer une approche de partenariats plutôt que l’approche traditionnelle de coopération au développement. C’est une demande de nos partenaires.
Vous voulez dire que les modes de coopération actuels se basent encore sur des rapports de force inégaux ?
Parmi les ateliers organisés à Dakar, il y avait un atelier Empowerment. L’enjeu est là. Soyons clairs : si déjà pour nos musées, il y a un défi de boucler les budgets, je peux vous dire qu’en Afrique, c’est encore beaucoup plus prégnant. Mi-juin, nous aurons de nouvelles réunions pour discuter des financements possibles, notamment côté UE, et travailler ainsi au renforcement des capacités [NDLR : l’expression “renforcement des capacités” est courante dans le secteur de la coopération et désigne, selon la définition de l’ONU, un “processus de développement et de renforcement des compétences, des instincts, des capacités, processus et ressources dont les organisations et communautés ont besoin pour survivre, s’adapter et prospérer dans un monde en évolution permanente”].
En Belgique, le musée de Tervuren participe au Projet HOME pour Human remains Origin(s) Multidisciplinary Evaluation qui consiste, selon les mots du musée de Tervuren à “évaluer de manière approfondie le contexte historique, scientifique et éthique des restes humains présents dans les collections belges”. Une carte blanche dans Le Vif signée par 147 signataires appelle à la création d’un lieu “de recueillement et de respect” pour ces “morts sans sépulture” avant rapatriement et demande qu’il en soit de même pour “les butins de guerre coloniale”. Qu’en est-il ?
Le projet HOME est très spécifique et porte sur des corps humains. Pour nous, l’important est de trouver des solutions qui respectent pleinement la dignité humaine et permettent aux familles de s’exprimer. Notre position en tant que musée est de ne pas exposer d’ossements ou d’objets qui contiendraient des corps humains. La question serait plutôt destinée au Musée du Cinquantenaire qui en a beaucoup [beaucoup plus que Tervuren, NDLR]. Par ailleurs, la question d’un retour éventuel est très délicate. La loi belge sur la restitution ne le prévoit pas, elle porte uniquement sur la restitution d'objets, qui est notre premier chantier. Notre priorité est là, via le projet PROCHE qui est un projet de recherche sur la provenance des objets. En termes de quantité, c’est aussi le principal chantier : on parle de 120 000 objets ethnographiques, de plus 8 000 instruments et de millions de spécimens d'insectes en ce qui nous concerne. Nous avons commencé des travaux à Tervuren en collaboration avec nos collègues congolais. La législation belge prévoit que le travail soit réalisé avec les partenaires et une grande part de l’effort portera sur les objets de RDC et une partie importante du travail doit donc se faire sur le terrain en RDC, par nos collègues là-bas. C’est une opportunité. Les gens me disent parfois qu’on va “perdre nos objets”, mais, non, il s’agit de travailler ensemble pour comprendre la provenance, le contexte, cela a de la valeur scientifique. On n’est pas les seuls à faire ce travail. Puis, il vient d’un engagement et d’une nécessité de voir la réalité de la colonisation en face. De manière globale, je crois beaucoup en la coopération scientifique et culturelle. Elle fait partie de notre crédibilité et elle permet de véritables relations gagnant-gagnant.
En attendant, le rapport du projet HOME n’a pas encore été livré. Il est pourtant très attendu…
Nous tenons beaucoup à ce que ce rapport soit publié et qu’il obtienne la publicité qu’il mérite. Le travail à ce propos continue et je pense qu’il en est au stade de la traduction.
Ce sera pour bientôt, donc ?
Je l’espère bien, oui.
Africa Museum
Musée royal de l'Afrique centrale
Leuvensesteenweg 13
3080 Tervuren
Du mardi au vendredi de 10 à 17h
Samedi et dimanche de 10h à 18h
www.africamuseum.be
Journaliste
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