Bavard et virtuose

Muriel de Crayencour
18 avril 2015
A Namur, c’est un dialogue passionnant qui s’élabore entre Jan Fabre et Félicien Rops, autour et dans le musée éponyme. Jan Fabre, né en 1958, est dessinateur, sculpteur, chorégraphe et metteur en scène de théâtre. Il vit à Anvers. Artiste fétiche de la Reine Paola, il a entre autres décoré un plafond du Palais Royal à Bruxelles. On avait pu voir ses cervelles en marbre de Carrare chez Templon, il y a quelques mois. Il expose au musée Rops, à la Maison de la Culture et plusieurs de ses grandes sculptures en bronze poli ont essaimé dans la ville.

Jan Fabre est invité par Félicien Rops. Ou peut-être est-ce le contraire. Pour accompagner cette rencontre si évidente (on le constatera au fil de la visite), Fabre a convié le philosophe français Bernard-Henri Levy, qu’il a eu l’occasion de rencontrer à la Fondation Maeght, à dialoguer sur le propos de l’exposition. Son exposé, brillant, met en mots le sens de l’exposition et la manière des deux artistes.

Trois beaux parleurs

De fait, lors de la présentation de presse, BHL fut vif, précis, bavard et concis. Il fit le show. Pas sûr que ce fut avec beaucoup de profondeur. Mais la virtuosité est là : « L’exposition interroge la place du musée dans la ville, rappelle que les Surréalistes voulaient brûler ces lieux qu’ils trouvaient détachés de l’espace occupé par les hommes. Fabre et sa commissaire ont apporté une réponse magistrale : Fabre et Rops déploient une double réponse, en saturant la ville de deux œuvres croisés. C’est une réponse en acte à la question de la place de l’art. »

« L’invitation de Fabre par Rops est une démarche qui donne corps à une des plus belles choses de l’histoire de l’art, le fait que l’art n’a pas de temps, pas d’histoire, poursuit le philosophe. Qui est précurseur de qui ? C’est une des lois de l’art, cet entremêlement des temps, toute oeuvre étant par elle-même dans la contemporanéité. » Certes. Terminant, BHL insiste sur le fait que « ce qui s’expose, c’est de la pensée. Car Fabre comme Rops produisent de la pensée, de la métaphysique. » N'est-ce pas le fait de toute œuvre d'art?

Ici et là

A la Maison de la culture, la rangée de bustes en bronze Chapters, qu'on avait pu voir aux MRBAB. En ville, l’immense tortue Searching for Utopia, sur la citadelle, ou L’Homme qui mesure les nuages, dans l'église Saint-Loup où sont installées plusieurs sculptures... Fabre a beaucoup à dire. C'est évidemment une offre exceptionnelle, rare, celle d'un artiste qui se pose dans plein d'endroits de la ville. Cette proposition organisée par la Province de Namur en collaboration avec la Ville de Namur et le Comité Animation Citadelle est remarquablement organisée et a demandé de nombreux supports. Ne boudons pas notre plaisir.

Dans les salles du musée, le dialogue avec Rops est évident, limpide, passionnant. Tous deux dessinent, même si Rops est meilleur que Fabre. Tous deux aiment à bousculer les images : sexe, violence, terreur et mort y sont mis en scène. Phrases manuscrites, mots arrachés à leur texte accompagnent des femmes nues, des verges, des crânes, des insectes, des serpents, cochons, croix… Tout est déconstruit sans vergogne, passé à la question, au feu de leur pensée. C’est vibrant et puissant. Avant d'être plasticien, Fabre est scénographe. Plusieurs extraits de ses mises en scène sont visibles dans l'exposition. C'est fort. Violent. On se souvient d'une extraordinaire vidéo d'une danseuse nue dansant sur une flaque d'huile, scénographie inoubliable de l'artiste, dans l'exposition Danser sa vie en 2012 au Centre Pompidou. Une merveille. Fabre est plus scénographe que plasticien.

Ici, Rops et Fabre dialoguent, conversent, virevoltent, parlent, crient, hurlent, bousculent la morale, bavardent, produisent des images fortes, denses, grinçantes, dérangeantes. On y trouve des corps, nus ou morts, des crânes, des serpents, du sperme, du sang, des larmes et beaucoup d’ego. Comme si le flux des mots nourrissait l’ego. Les deux artistes verbalisent. Magnifiquement.
Facing Time
Rops/Fabre
Namur
Jusqu’au 30 août
www.ropsfabre.be

 















 

 











 

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.

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