Be-Part s’emploie à promouvoir l’art contemporain au sein de deux espaces de la Flandre-Occidentale, situés à Waregem et à Courtrai. C’est à la première adresse que se tient actuellement une exposition impressionnante, Frequently the woods are pink, permettant de découvrir des œuvres d’une quarantaine d’artistes, issues de collections privées de la province. À voir jusqu'au 28 novembre.
La première partie de l’exposition invite à se recueillir devant une sculpture ainsi que des encadrements de photographies, peintures et dessins. Peu de couleurs. Quelques touches de rouge de-ci de-là, mais le noir et blanc domine, renforçant cette impression que ce qui est raconté appartient au passé. C’est dans cette pièce que se trouve l’une des œuvres les plus datées de la sélection, Date Painting June 19, 1971 d’On Kawara, marquée littéralement par son âge : le jour, le mois et l’année de sa réalisation sont peints en blanc sur un fond noir. Non loin, se situe la boîte destinée à renfermer l’œuvre ainsi qu’une archive du New York Times découpée par l’artiste, rappelant qu’une date, si elle est dénuée de tout ornement, demeure significative et réfère à une histoire. D’autres artistes dépassent les faits pour s’ancrer dans un univers hors de tout temps, celui d’un vieil arbre par exemple, dessiné par Patrick Van Caeckenbergh. C’est alors la mémoire et la transmission du conte qui semblent évoquées. La sculpture de Bernd Lohaus, sur laquelle des mots sont inscrits à la craie, nous offre même la présence matérielle du bois, qui s’érige en une sorte de « pierre » tombale, à la mémoire de toutes les histoires qui nous sont narrées.
Parmi les vestiges de l’imaginaire et les références à un passé historique – allant de la guerre du Vietnam aux rues désertées d’un village mexicain au début de la pandémie –, apparaît également le cadre noir et blanc de Jan Vercruysse où le sujet a disparu. Absence d’une mémoire ou mémoire de l’absence ? En tous les cas, le geste de l’artiste reste, et lui aussi, par sa seule présence, devient la trace d’un passé.
Quand vient le temps de déambuler parmi les sculptures et tableaux de la deuxième salle, l’expérience de visite se transforme sensiblement. D’emblée, outre le regard, quelque chose interpelle l’ouïe. Venant du fond de la salle, une voix susurre des phrases en anglais et semble s’adresser au spectateur, ponctuant son récit de l’impératif « come ». L’installation, consistant en une sculpture en métal et des images vidéo diffusées en boucle, est celle de Laure Prouvost qui réserve aux passants A Dark Welcome.
De cet observateur distancié du passé, le visiteur passe donc à une position vulnérable : il est toujours regardant certes, mais semble aussi regardé. L’impression d’une présence est non seulement générée par le son et les images en mouvement de l’installation, mais aussi par la réunion des œuvres exposées. Cerné de mannequins et autres imitations de l’humain, d’une sculpture à la forme organique et d’un discours interpellatif au néon, le spectateur est comme ancré dans un décor vivant.
En même temps, et paradoxalement, c’est le plus souvent d’un figement dont il est question au travers des œuvres. La sculpture-vidéo de Laure Prouvost, qui invite à l’action, s’entête à répéter le même discours, espérant selon ses dires être remise à l’entrepôt pour se reposer. Les poupées des artistes belges Jos de Gruyter et Harald Thys sont, quant à elles, affublées de vêtements déchirés, enfermées dans leur corps miséreux, figées au sein de leur classe sociale. La mannequin en plâtre de Rebecca Ackroyd est dépourvue d’identité. Le visage dissimulé, c’est son corps qui la définit et la fige dans un rôle purement charnel. Il y a comme une fatalité à laquelle ces êtres ne peuvent échapper, qui sous-tend une réflexion sur le fonctionnement de notre système et le regard posé sur autrui.
Au sous-sol du bâtiment, bien des œuvres reposent sur le principe du détournement afin d’aborder certains sujets, parfois brûlants d’actualité. Les quatre planches à repasser de Wim Delvoye interloquent immédiatement. Exposées, leur fonction usuelle est détournée. Habillées d’un blason, elles deviennent même un symbole de noblesse. Quoi de plus ironique aussi qu’Atención Jóvenes de Gabriel Kuri, consistant en une annonce pour un travail de distribution de flyers, tissée à la main. De cette manière, difficile de démultiplier l’affiche et de toucher un large public… alors même que nous sommes à l'époque de la globalisation. La boîte à outils de Sofia Hultén n’est en rien pratique non plus : elle semble pouvoir s’ouvrir à l’infini et crée ainsi plus de confusion que d’ordre. La sculpture minimaliste de Carl Andre détourne, quant à elle, la matière de l’art lui-même puisque les plaques en fer et en aluminium qui la constituent peuvent se confondre avec le sol et ne pas être vues – pourraient-elles alors même perdre leur raison d’être ?
Finalement, si elles sont prêtées par divers anonymes, l’ensemble des créations exposées au public n’en sont pas moins cohérentes par rapport aux autres. Chacune se propose de (ré)interroger le spectateur, que ce soit sur sa façon d’appréhender le passé, la société, les relations avec autrui et l’art en soi.
Frequently the woods are pink
Be-Part
17 Westerlaan
8790 Waregem
Jusqu’au 28 novembre
Du mardi au vendredi de 13h à 17h
Dimanche de 13h à 18h
https://www.be-part.be
Journaliste
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