Argos présente la première exposition personnelle de l’artiste portoricaine Beatriz Santiago Muñoz en Belgique. Oriana consiste en une installation audiovisuelle déployée en multicanaux au travers des espaces d’exposition. En adoptant une posture militante unique, l’artiste aborde des aspects d’ethnographie expérimentale, de féminisme et de théâtre performatif dans son travail vidéographique qui oscille entre fiction et documentaire. À découvrir jusqu’au 7 mai.
Oriana s’inspire de l’ouvrage Les Guérillères (1969) de l’autrice féministe Monique Wittig, un roman syncrétique et énigmatique qui décrit la vie, les rites, les mœurs d’une communauté de femmes. Le livre vise à construire une nouvelle mythologie féministe renversant les symboles patriarcaux et imagine une société avec ses propres fondements et idéologies. Monique Wittig promeut l’abolition des rôles de genre hétéronormatif et l’expérimente formellement en employant presque exclusivement le pronom « elles ». Monique Wittig utilise le féminin comme forme grammaticale universelle. Le pronom « elles » est utilisé comme un personnage, pour représenter une entité singulière. La forme « elles » s’est développée pour mettre l’accent sur l’importance du collectif dans la place du récit.
Dans son interprétation libre du roman Les Guerillères, Beatriz Santiago Muñoz présente des féministes militantes qui investissent des lieux mystiques : grottes, forêts, rivières pour y pratiquer des rituels de magie blanche telles des sorcières des temps modernes. À travers les danses frénétiques et les communications avec des esprits ancestraux qu’elle filme, Beatriz Santiago Muñoz nous fait pénétrer dans un monde où le temps semble cyclique. L’artiste s’est intéressée à la méthode du « collage » de Monique Wittig : elle entremêle des histoires pour donner une forme ouverte au film. Des Guérillères, Monique Wittig disait : « Il s’agit d’un poème épique, c’est un collage, on ne peut pas lui attribuer un genre, en dehors du mouvement épique donné par le rythme, l’action et les caractères. »
Monique Wittig a essayé de créer une forme romanesque nouvelle comme l’ont fait avant elle les écrivain.es du « Nouveau Roman ». Samuel Beckett, Michel Butor, Robert. Pinget, Claude Ollier, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute et Claude Simon se sont évertué.es à créer des antiromans en questionnant les éléments constitutifs du texte : la chronologie, les caractères, l’intrigue, le sujet, les descriptions et les formes du récit. À l’instar de Monique Wittig, Beatriz Santiago Muñoz a voulu donner une dimension « épique » à son œuvre en adoptant une écriture cinématographique lacunaire. Oriana est composée de fragments filmiques dans lesquels se multiplient les personnages, les expériences sensorielles créant ainsi un mouvement, une dynamique nouvelle.
Dans Oriana, Beatriz Santiago Muñoz a souhaité expérimenter la puissance du collectif, plutôt que de montrer le sujet dans son individualité. Dans son travail cinématographique, l’artiste a évité les gros plans fixes sur des personnages qui pourraient révéler des états intérieurs ou des moments particulièrement expressifs. Les féministes ne se caractérisent que par leurs actions communes et leurs relations les unes aux autres. Les personnages deviennent abstraits pour faire place à de nouvelles formes de vivre-ensemble, dont les fondements idéologiques sont ceux de la coopération, de l’entraide, du partage, de l’équité et de l’égalité. Beatriz Santiago Muñoz nous fait voyager dans une utopie féministe qui questionne les catégories hétéronormatives en vue d’interroger les valeurs de nos sociétés individualistes et genrées.
La frontière qui existe habituellement entre une personne singulière et son environnement est ici abolie. La communauté féministe est en symbiose avec la nature qui l’entoure et développe un rapport sacré, un dialogue divin et respectueux avec les éléments constitutifs de celle-ci que sont les forêts et les rivières. Beatriz Santiago Muñoz montre le mouvement, la forme, la couleur et la puissance de l’eau dans une ode filmique poétique, la dimension spirituelle de la rivière transparaissant dans les rites de purification, de protection et de guérison. Avec Oriana, Beatriz Santiago Muñoz prône un nouveau modèle de société qui mêle féminisme et écologie : l’écoféminisme. Elle réhabilite la place des femmes dans la société par le biais de la préservation de la nature.
Cette installation vidéo a le mérite de nous interroger sur le rapport que nous entretenons avec les rôles sociaux de genre, la collectivité et l'écologie. Cette exposition propose une réflexion sur de nouveaux modèles de société féministes et écologiques dans lesquelles les jeux de pouvoir et de domination sont exclus. Le film présenté est construit comme un « poème épique », fait d’une multitude de fragments vidéographiques d’une beauté inouïe, qui nous transporte dans un voyage métaphysique qui questionne en profondeur nos valeurs fondamentales. À ne pas manquer.
Beatriz Santiago Muñoz : Oriana
Argos
13 rue du Chantier
1000 Bruxelles
Jusqu'au 7 mai
Du jeudi au dimanche de 12h à 19h
www.argosarts.org
Journaliste
Diplômée d’un master en Architecture à l’ULB-La Cambre-Horta et d’un master en Histoire de l’art à l’ULB, cette double formation lui a donné l’opportunité de s’occuper de la scénographie des expositions « Belgian Follies » (2020) et « Superstudio Migrazioni » (2021) au CIVA. Depuis septembre 2018, elle travaille également très régulièrement en tant que guide-conférencière. Elle anime notamment des visites guidées pour Arkadia, Brussels Gallery Weekend et Art Brussels. De 2019 à 2021, elle a enseigné le cours de projet d’architecture en bachelier à la faculté d’architecture de l’ULB-La Cambre-Horta.
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