Dans cette exposition ambitieuse et inédite, coproduite avec le Mudac de Lausanne, le CID Grand-Hornu tente de circonscrire le design libanais, historique et contemporain, qui s'est développé entre les crises dans ce pays au croisement de l'Orient et de l'Occident.
Associer le Liban et le design ne va pas de soi. Pourtant, comme nous le montre la nouvelle exposition du CID Grand-Hornu, le pays du cèdre possède de très belles choses et une singularité passionnante à revendiquer. Le projet, fruit d'un long travail de recherche menée par Marco Constantini, directeur du MUDAC de Lausanne, se déploie en trois volets. Le premier s'intéresse à l'histoire et à la période des Trente Glorieuses (1945-1975), où le Liban était un havre cosmopolite, mâtiné de dolce vita à la levantine. Le deuxième porte sur la création contemporaine et le troisième sur un projet réalisé dans la région de Tripoli avec des artisans ébénistes et menuisiers.
Créer et produire du design au Liban a été et est toujours un mélange d’inconscience, de résilience et de foi en l’avenir et en ses beautés. La scénographie, conçue par Ghaith & Jad, se fait l’écho de cette fragilité et de cette instabilité permanentes qui caractérisent le quotidien de Beyrouth. Conçue comme un site archéologique abstrait, elle repose notamment sur des socles faits de surfaces assemblées comme pour absorber toutes les énergies en mouvement.
Le Liban a toujours été un point de rencontre entre Orient et Occident. Si le pays a connu une période de prospérité et d’effervescence culturelle dans les années entre l’indépendance et la guerre civile, le design n’existait pas en tant que tel. Il était le fruit du travail et des visions d’architectes et de décorateurs qui produisaient des pièces pour les lieux dont ils avaient la charge. Hôtels, boîtes de nuit, magasins ou banques ont été réaménagés dans ces années-là avec du mobilier et des éléments décoratifs qui faisaient souvent la synthèse entre l’héritage oriental et le design contemporain tel qu’on le dessinait à Milan, Paris ou Londres. Cette section est essentiellement constituée de pièces d’archives sauvées in extremis, plans, photos et quelques rares pièces à avoir survécu ou reconstruites d’après les plans d’origine, comme le beau paravent en bois dessiné par Serge Sassouni pour l’hôtel Alcazar en 1959.
Après la fin de la guerre civile, dans les années 1990, Beyrouth connaît une effervescence culturelle et économique. Des galeries s’ouvrent, de nombreux designers qui ont fait leurs études dans de prestigieuses écoles à l’étranger reviennent au pays pour participer à ce renouveau. Et en 2012, un département design voit le jour à l’Académie des Beaux-Arts de Beyrouth. C’est dans ce contexte et avec cet héritage que se développe le design libanais dans des conditions de production toujours difficiles. La plupart des matériaux doivent être importés, il n’y a pratiquement pas d’éditeurs et les pièces sont réalisées sur commande ou en quantités limitées.
Aujourd’hui, dans un contexte d’internationalisation du design, où les idées et les formes voyagent à la vitesse des réseaux, ça n’a plus beaucoup de sens de parler d’un design national ou en l’occurrence libanais. Pourtant, on remarque, peut-être à cause de leurs difficultés, une propension chez les designers libanais à travailler avec des artisans locaux et avec des matières comme le bois, le marbre ou le laiton, la marqueterie ou le cannage. Dans sa sélection contemporaine, le commissaire n'a retenu que des pièces produites sur place au Liban. Elles sont présentées dans le Magasin aux foins, de part et d'autre d'une allée centrale comme dans un grand showroom.
L'approche est très éclectique. Rien de commun entre les tabourets en céramique Mushroom du studio 200grs, la chaise longue façon origami en acajou et rotin de Karen Cherkdjian, le luminaire champignon de Spockdesign ou la chaise en bambou, métal et fibre de chanvre Willowy de Sayar et Garibeh. Si ce n'est une justesse de formes qui magnifie les matériaux
Le design n'est bien entendu pas une création hors du temps. Les échos des événements traumatiques se marquent parfois dans sa chair, comme le trou laissé par l'explosion du 4 août dans le superbe cabinet-bar aux incrustations de nacre de Nada Debs, que l'artiste a tenu à ne pas restaurer. Le réel peut aussi se glisser dans la mémoire avec les véhicules militaires en marbre de Marc Dibeh ou dans les ironiques arab dolls de Carlo Massoud, formes vides en étain percées de trous inspirées par les différents types de burqa.
Pour revenir au réel encore plus immédiat, il ne faudrait pas louper le beau travail des étudiants en design de l'université américaine de Beyrouth qui ont travaillé sur l’idée d’un ready made qui reflète les multiples crises que venait de traverser le pays. On y trouve une ode au rouleaux de papier toilette, totem de la défaite, la réinvention d’une feuille de papier blanc ou les métamorphoses fonctionnelles d’un rouleau d’adhésif de 5 cm de large. Il y a aussi cette très belle carte de Beyrouth plombée par les coupures et pannes de courant où les photos des quelques oasis de lumière ont été posées sur un plan voilé de noir.
Beyrouth
Les temps du design
CID Grand-Hornu
82, rue Sainte-Louise
7301 Hornu
Jusqu’au 14 août 2022
Du mardi au dimanche de 10 à 18h
www.cid-grand-hornu.be
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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