Black Horizon au Pays Noir

Manon Paulus
16 février 2019

L’exposition Black Horizon, fruit de la seconde collaboration entre le BPS22 et la Collection a/political, met en dialogue deux artistes russes de générations différentes : Erik Bulatov (1933) et Andrei Molodkin (1966). Par leur jeu commun avec le langage, les artistes développent singulièrement une critique du contrôle sociétal et du discours dominant : l’un avec des peintures tricolores monumentales, l’autre avec du sang humain.

Erik Bulatov travaille principalement dans ses tableaux les notions d’espace et de surface, de profondeur et de planéité. Sa carrière artistique, Bulatov l’a débutée de façon clandestine pendant les années noires du stalinisme, dans une volonté de rester en marge de l’art officiel de l’URSS. On peut d’ailleurs noter son intérêt pour le slogan et la propagande, et les moyens de détourner cette dernière. Pour cette série, présentée pour la première fois, l’artiste a choisi de se concentrer sur les termes EXIT et HACPATb (une expression russe qui signifie chier sur) qu’il décline dans plusieurs tableaux aux couleurs rouge, noire et blanche - couleurs qui nous rappellent le constructivisme russe. Dans ses compositions, l’artiste joue donc avec la confusion amenée par l’illusion de la profondeur et le rappel de la planéité du tableau avec des éléments typographiques. Il y évoque les difficultés de trouver une EXIT, une porte de sortie aux multiples manipulations des médias et des politiciens ; pour l’artiste, il ne reste plus qu’une seule solution : HACAPTb. Au centre de la salle principale du BPS22 se dresse une sculpture monumentale en acier, représentant les mots ВСЕ НЕ ТАК СТРАШНО, une expression russe signifiant tout n’est pas si terrible. Une injonction brutale et ironique à mettre en rapport avec les multiples difficultés du quotidien.

Plus loin, une autre salle est plongée dans le noir et on peut déjà entendre un bruit sec et répétitif. Un siège médical, de ceux utilisés pour les prélèvements sanguins, nous attend à l’entrée, à côté d’un réfrigérateur. Des contenants transparents sculptés par des phrases écrites en anglais se remplissent de liquide rouge au rythme de la propulsion d’une pompe pneumatique :  "BURN THE TEMPLE, FUCK THE JUDGE" "COP SHOT JUST FOR KICKS".

Young Blood, l’installation d’Andrei Molodkin, est construite autour d’extraits de paroles de chansons provenant de la scène musicale Drill de Londres, censurées ou blacklistées à cause de leur contenu jugé trop violent par les autorités londoniennes. Tout en faisant écho aux phrases de Bulatov, les phrases se remplissent, dans ces cas-ci, de sang humain prélevé notamment sur les employés du BPS22. Projetées en grand sur les murs, les images changent sans cesse de composition grâce au renouvellement continu du sang injecté dans les blocs. Cette installation se tient dans la continuité de son travail, puisque l’artiste a déjà plusieurs fois utilisé du sang humain, notamment pour une exposition à la galerie Patrica Dorfmann (Paris) en 2014. Molodkin avait prélevé le sang de demandeurs d’asile pour le propulser à l’intérieur d’un bloc en acrylique transparent creusé en forme de Marianne.

Cette exposition, très politique, se construit autour des préoccupations si actuelles à propos de la censure et de la propagande qui touchent, selon les artistes, aussi bien l'Europe que la Russie. Face à cela, quelles postures adopter ? En tout cas, le don de sang étant très réglementé en Belgique, c’est seulement dans le cadre d’une performance artistique réalisée avant le vernissage que les prélèvements ont eu lieu. Si l’envie venait au visiteur de réaliser l'acte fort de donner son sang au nom de l’Art, hélas, ce n’est pas encore l’occasion.

 

Black Horizon
Erik Bulatov et Andrei Molodkin
BPS22
Boulevard Solvay, 22
6000 Charleroi
Jusqu'au 19 mai
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
http://www.bps22.be/
www.a-political.org/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Manon Paulus

Journaliste

Formée à l’anthropologie à l’Université libre de Bruxelles, elle s’intéresse à l’humain. L’aborder via l’art alimente sa propre compréhension. Elle aime particulièrement écrire sur les convergences que ces deux disciplines peuvent entretenir.

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