Boris Taslitzky, l’enfer (sur Terre) en peinture

Eric Valenne
20 avril 2022

Une vie marquée par la guerre. C’est ainsi que Boris Taslitzky a qualifié la sienne. Né en 1911 de parents juifs exilés de Russie, l’artiste a vite été confronté aux horreurs du vingtième siècle. Mais il a décidé les peindre. 

A quatre ans à peine, il perdait son père, engagé volontaire, tué dans les tranchées de la Grande Guerre. Quelques décennies plus tard, sa mère mourra à Auschwitz. Entre les deux, son destin se révèle et sera la peinture « réaliste à contenu social ». Une démarche qui se poursuivra jusqu’à sa mort en 2005. 

Pupille de la nation et encouragé par sa mère, le futur artiste courait Le Louvre dès son adolescence, où il copiait les grands maîtres. En 1928, il entrait à l'École des Beaux-Arts de Paris, avant d'être membre en 1933 de l’Association des Écrivains et Artistes révolutionnaires. En 1935, il adhérera au Parti communiste français. Armé de ses pinceaux, Taslitzky va braver la vie avec ses outils d’artiste qui lui serviront de boucliers, d’armes et d’étendards.


Romantique révolutionnaire

Le peintre, qui se qualifiait de « romantique révolutionnaire », puisait son inspiration dans la peinture historique (Géricault, Delacroix, Courbet, Daumier, David, Goya…). Comme ces derniers, il avait décidé d’œuvrer et de peindre un « réalisme à contenu social ». Et dans le tourbillon des années qui vont suivre, il va être servi : guerre d’Espagne, Front populaire, grandes grèves, Seconde Guerre mondiale... Mobilisé et incarcéré en 1940 avant d'entrer dans la résistance et de se retrouver à la prison de Riom en 1941 (avec 33 communistes et 600 prisonniers de droit commun), il sera déporté à Buchenwald. Pendant ce temps, sa mère vénérée sera arrêtée lors de la sinistre rafle du Vélodrome d’Hiver en 1942, avant d’être assassinée à Auschwitz.


(Dé)peindre l'horreur 

A Buchenwald, Boris Taslitzky réalisera des centaines de dessins. Il ironisera : « Si je vais en enfer, j’y ferai des croquis ! D’ailleurs, j’ai l’expérience, j’y suis allé, et j’ai dessiné ! » Cette terrible épreuve l’a davantage impliqué à témoigner, encore et encore, par la peinture ou le dessin, de tous les grands tourments vécus par lui. Jusqu’à sa mort en 2005, sa peinture à vocation sociale et historique aura donc souvent les couleurs du sang et des larmes. A la fois spectateur, acteur et victime des horreurs de son époque, il se devait de témoigner en tant qu’être humain et artiste. Un écrivain les aurait couchées sur le papier, un musicien les aurait mises en musique. Lui, il les a peintes. Avec du papier et des crayons cachés au risque de sa vie à Buchenwald, puis avec des pinceaux et des toiles souvent de grand format.

Après la guerre, la lutte se poursuivra, avec notamment des affiches arrachées par la police parisienne car trop subversives, ou ses peintures (La Riposte) décrochées des expositions car non républicaines. Il fera également des voyages incognito en Algérie en 1952 pour se rendre compte de la misère locale et en faire des reportages peints. Avec, encore et toujours, des témoignages des luttes ouvrières, des grèves, des émeutes, des manifestations et des blocus, comme celui à Marseille contre la livraison d’armes destinées à l’Asie lors de la décolonisation violente de l’Indochine, etc. Tous ces reportages peints et imagés sont souvent en grand format. Mais son pinceau sera parfois plus léger avec les représentations des ouvriers, du prolétariat, de la beauté du travail et de la camaraderie…


En prise avec son époque

L’expo intitulée L’Art en prise avec son temps présente une cinquantaine de peintures, les fameux dessins de Buchenwald ainsi qu’une tapisserie. Ce tour d’horizon nous livre quelques-unes de ses compositions majeures consacrées aux causes politiques de sa génération mais également quelques portraits et autoportraits (une démarche réalisée tout au long de sa vie), avec la présence de rares paysages et de quelques natures mortes. L’expo, qui se concentre sur les années 1930 à 1970, présente les fameux 200 dessins réalisés à Buchenwald (de 1944 à la Libération) avec les quelques grandes toiles également inspirées par les épreuves de la Seconde Guerre mondiale (La Pesée à Riom - Le Petit camp de Buchenwald - La Mort de Danielle Casanova...) 


Lueurs d'espoir

On y admire également le prolétariat et le travail industriel, les luttes syndicales (autour du célèbre portrait de groupe Les Délégués), la décolonisation du Vietnam en 1951 La Riposte ou plus léger, la série de 63 dessins à l’encre qui relatent les banlieues populaires du nord-est parisien de 1965 à 1972. A l’instar de la colombe de la paix parfois cachée dans ses toiles ou de la lueur d'espoir offerte par les coins d'horizon colorés d’azur ainsi que de ces mains humaines qui s’entraident et s'épaulent sur certaines de ses toiles avec parfois ces regards brillants d’entraide et de compassion… voilà un peu de fraternité, d’humanité, d’entraide et de solidarité qui s’allument. Comme une lueur d’espoir qui brille au fond de l’enfer. Peut-être l’utopie d’un monde meilleur.

  

Boris Taslitzky, 
L'art en prise avec son temps
La Piscine
Roubaix 
Jusqu'au 19 juin 
Du mardi au jeudi de 11h à 18h 
Vendredi de 11h à 20h 
Samedi et dimanche de 13h à 18h 
​​​​​​www.roubaix-lapiscine.com

Eric Valenne

Journaliste

Reporter et photographe pour de nombreux magazines et éditeurs, spécialisé dans le tourisme depuis plus de trente ans et après plus de mille voyages, Eric Valenne a plusieurs cordes à son arc...-en-ciel : la nature, l’architecture et l’art. Tous les arts, en fait. Quand je vois une œuvre d’art qui me plaît, quelle qu’elle soit, je sens vibrer en moi une bonne énergie qui m’inspire et réveille ma créativité. Et si elle ne me plaît pas, c’est que je ne l’ai pas comprise. L’art nous donne une direction, un cap. Vers quoi, aucune idée. Mais c’est comme une boussole qui nous mène à travers la vie.