Caribaï, entre eau et montagne

Gilles Bechet
07 avril 2023

À La Forest Divonne se déploient les paysages de Caribaï composés d'empreintes sur du papier japonais, comme des échos des traces visuelles et émotionnelles que lui laissent les éléments de la nature.

Dans la tradition chinoise, le paysage existe par ses vides autant que par ses pleins. Pas seulement dans sa représentation, mais dans son existence même. Sans cet équilibre, le paysage qui, dans la langue chinoise, est décrit par les oppositions montagne-eau et vent-lumière, serait une masse informe et mouvante. Quand on entre dans la galerie La Forest Divonne, on est happé par le paysage qui se déroule sur le mur du fond. La roche, les nuages et les vagues semblent comme une symphonie mis en mouvement par le vent. Il s'agit de quelques panneaux de la fresque monumentale de 33 mètres sur 1,85 m conçue par Caribaï Migeot pour le Musée des arts asiatiques de Nice en 2021. Une œuvre qui traduit la perception asiatique du paysage révélant, selon le philosophe François Julien, une autre façon d'interpréter le monde qui permet aussi de décentrer notre regard.

Formes ouvertes

Née à Tokyo, l'artiste franco-vénézuélienne Caribaï y a passé sa petite enfance et a été profondément marquée par la culture et l'esthétique des arts asiatiques du paysage. Enfant, elle était fascinée par des jeux de lumière et d'ombre que laissait filtrer le soleil à travers le papier de riz qui couvre les shoji, les portes-fenêtres traditionnelles au Japon. En approchant des panneaux, c'est comme si la vue se brouillait et que le paysage se perdait dans des nuées de taches et de traces d'encres colorées.

C'est là aussi qu'on découvre la complexe simplicité du travail de Caribaï. Pour composer ses paysages, elle assemble des fragments de papier japonais, où elle a peint ou tamponné à l'encre des éléments, nuages, roches ou vagues, qu'elle va assembler sur une surface par collage ou couture. Par après, elle revient et travaille la matière en y laissant traces et mouvements, gravant parfois l'épaisseur accumulée. Plutôt que des paysages précis, ses compositions sont des formes ouvertes dans lesquelles chacun verra, ici des roches ou des nuages, là des vagues ou même des animaux. À côté de ses œuvres sur panneaux de bois, elle a réalisé aussi une série de peintures sur verre où elle joue de la transparence en superposant parfois plusieurs couches de verre feuilleté, créant un paysage flottant transformé par le regard.
 

Caribaï
L'Empreinte du vent
La Forest Divonne
66 rue de l'Hôtel des Monnaies
1060 Bruxelles
Jusqu'au 22 avril 
Du mardi au samedi de 11h à 19h

www.galeriedelaforestdivonne.com

Gilles Bechet

Rédacteur en chef

Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT