La Villa Empain accueille sa toute première exposition consacrée à un plasticien individuel, l'artiste sud-coréen Chun Kwang Young. Une sorte de méditation dévisageant ces deux énigmes qui constituent les extrémités de l'univers : d'une part l'infiniment petit, l'intime, et d'autre part le monde, la conscience collective. Des œuvres phares de 1998 jusqu'à aujourd'hui.
Chun Kwang Young (1944) présente son travail avec une forme d'estime et de fierté émouvantes. Disons que ce passionné est fier de son parcours individuel tout autant que de son langage spécifique. Originaire de Hongcheon, en Corée du Sud, il est né en pleine tempête politique, avant le départ des forces japonaises, dans un pays qui souffrait de la guerre. Il étudie les beaux-arts à l'Université de Hongik à Séoul, puis obtient un master au Philadelphia College of Arts en 1971. Nommé artiste de l'année par le South Korean National Museum of Contemporary Art, il reçoit en 2009 le prix du Président de la part du ministre de la Culture dans son pays. Aux Etats-Unis, il découvre pop art, color field et action painting et plonge de tous ses pinceaux dans l'expressionnisme abstrait. Tout d'abord peintre, il ressent bientôt le besoin d'une expression plus singulière, plus proche de ses racines. C'est avec cette intuition, cette compréhension juste qu'il amorce le tournant vers ses agrégations, un style bien à lui.
A la manière de mystérieux puzzles, ses assemblages de centaines de petits triangles recouverts de papier hanji offrent des jeux variés et délicats de formes et de couleurs. Un travail de fourmi œuvrant sans relâche qui révèle des messages subtils et recèle aussi beaucoup d'humanité. Installations sphériques ou œuvres à la clarté lunaire établissent de complexes agencements, des systèmes abstraits et multidimensionnels avec le même épicentre : un désir de relier chaque minuscule triangle à un tout beaucoup plus vaste. Telles les cellules d'un même corps. Car Chun Kwang Young est sensible aux histoires individuelles tout en restant attaché à l'histoire, à la complexité et à l'évolution de la société coréenne dans son ensemble, à l'idée d'unité fondamentale.
Enfant, Chuan Kwang Young observait comment son grand-père pharmacien emballait les médicaments dans ce papier traditionnel hanji, issu de l'écorce du mûrier. Omniprésent et familier dans la culture et le quotidien coréens, il est apprécié pour sa résistance et sa longévité. A Séoul, les cadeaux ne sont pas offerts dans des boîtes, mais enveloppés dans ce papier hanji. Il sert de support à l'écriture et à la pensée, irradiant ainsi une dimension spirituelle qui n'est pas absente des oeuvres exposées. L'artiste plie des feuilles aux inscriptions coréennes ou chinoises. Elles ont entre 50 et 100 ans, ont vécu, été utilisées et manipulées par de nombreuses mains. Cet aspect est lié à la notion de jeong, concept exprimant l'amour et l'attention de ceux qui partagent le même monde. C'est l'expression de la profonde bienveillance sans laquelle un Coréen ne serait pas un Coréen. Rien que par ces aspects, l'exposition est exceptionnelle. Attardons-nous devant Cœur brûlé, une installation puissante qui vibre au son d'un cœur en fin de vie. Une sculpture qui semble se désagréger, avec ces petits triangles noircis, comme carbonisés, épars autour de l'œuvre. "J'ai entendu parler du décès d'une femme dont les voisins disaient qu'elle avait été malheureuse, qu'elle avait eu le cœur brûlé", explique l'artiste.
Poursuivons le plaisir et notons, en parallèle, la très belle exposition Chaotic Harmony, chez Art Loft, qui montre les pièces les plus récentes de l'artiste. Ici, un peu plus de lumière dans des agrégations magnétiques où le sens de la mesure et de l'harmonie s'empare de ces accumulations désordonnées. A voir !
Chun Kwang Young
Fondation Boghossian – Villa Empain
67 avenue Franklin Roosevelt
1050 Bruxelles
Jusqu’au 28 août
Du mardi au dimanche de 10h à 18h30
www.villaempain.com
Chun Kwang Young, Chaotic Harmony
Art Loft
36 rue du Charme
1190 Bruxelles
Jusqu’au 15 juillet
Du mardi au samedi de 14h à 18h
www.artloft.eu
Rédactrice
Traductrice puis pédagogue de formation, depuis toujours sensible à ce vaste continent qu’est l’art. Elle poursuit des études de sociologie et d’histoire de l’art avant de relever le défi de dire avec des mots ce que les artistes disent sans mots. Une tâche d’interprète en somme entre deux langages distincts. Partager le frisson artistique et transmettre l’expérience esthétique et cet autre rapport au monde avec clarté au lecteur, c’est une chance. Une sorte de mission dont elle nourrit ses textes.
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