Claude Renard, marin

Vincent Baudoux
14 septembre 2017

Après quelques années de silence, Claude Renard, dessinateur et auteur BD, revient avec une exposition magistrale à la galerie Champaka, près du Sablon, à Bruxelles. Il y expose des crayons sur papier sur les cimetières bretons. Cela sent le sel, l’iode, le bois en décomposition et les embruns. Chez Claude Renard, on ne sait qui, de l’œil ou de la main, a le plus de talent. Cette exposition est accompagnée d’un superbe livre intitulé Aux vents salins dont le tirage est limité, numéroté, signé. 

Quoi de plus agréable que les yeux nettoyés par un bol d’air frais venu de Bretagne, à l’occasion d’une exposition qui consacre le talent d’un regard allié à celui de la main ? L’oeil est ému par ces carcasses éventrées qui se décomposent lentement et retournent à la rouille, à la poussière, à la boue, alors que le meilleur de leur vie a été de résister à la fureur des tempêtes. Lorsqu’on sait que Claude Renard fut un temps marin, on sent l’émotion qui l’étreint à la vue de ces vaisseaux irrémédiablement laissés pour compte. Depuis, l’ancien matelot dessine, pas un détail ne lui échappe, ce treuil vermoulu, cette cabine cabossée, cette grue tordue, le moindre détail est signifiant comme le sait l’homme de la mer, sensible aux nuances des vents ou des courants, à l’humidité qui change, à la configuration des nuages qu’il est souvent le seul à percevoir.

Cet entraînement à la sensation permet de différencier la texture métallique de la coque, autre que celle de la cabine, des bois du pont, des bastingages, chaque planche pourrissante ou rivet corrodé, mais aussi les algues qui montent à l’assaut de la carcasse, les rochers, les divers états du sable. Là, le dessinateur se révèle prodigieux, tant chaque matière suscite telle ou telle écriture picturale, telle ou telle caresse de la mine de plomb sur le grain épais du papier blanc, telle ou telle gestuelle impliquant jusqu’à la manière de tenir le crayon entre les doigts. Il ne s’agit pas pour autant de réaliser une photographie à la main, une autre qualité du dessinateur étant de composer son image, d’abord par le cadrage, ensuite par la gestion des éléments à valoriser ou à négliger, le positionnement des noirs et des blancs, l’étagement méticuleux des nuances de gris, la mise en avant des accents sombres, des plages lumineuses, etc. Dessiner, c’est aussi choisir telle ou telle information, peser, soupeser, changer d’avis, improviser un trait inattendu sans trop le vouloir, le retenir, traiter rationnellement la parcelle en fonction de l’ensemble. Serait-il possible que, à l’automne de sa vie, le vieux loup de mer des océans de papier se prenne d’affection pour ces traces bientôt effacées d’un monde artisanal qui n’a plus cours, échoué sur les plages du temps ? Ces dessins conjurent le sort, car sous le regard et la main de l'artiste ces épaves arrivent désormais à bon port. Du temps de leur splendeur, quand elles bourlinguaient, elles ignoraient qu’une nouvelle vie faite de tendresse les attendrait aux cimaises d'une galerie bruxelloise.

 

Aux vents salins
Galerie Champaka
27 rue Ernest Allard 
1000 Bruxelles
Jusqu'au 30 septembre 
Du mercredi à vendredi de 13h30 à 18h30
Samedi de 11h30 à 18h30
www.galeriechampaka.com

 

Vincent Baudoux

Journaliste

Retraité en 2011, mais pas trop. Quand le jeune étudiant passe la porte des Instituts Saint-Luc de Bruxelles en 1961, il ne se doute pas qu'il y restera jusqu'à la retraite. Entre-temps, il est chargé d’un cours de philosophie de l’art et devient responsable des cours préparatoires. Il est l’un des fondateurs de l'Ecole de Recherches graphiques (Erg) où il a dirigé la Communication visuelle. A été le correspondant bruxellois d’Angoulême, puis fondateur de 64_page, revue de récits graphiques. Commissaire d’expositions pour Seed Factory, et une des chevilles ouvrières du Press Cartoon Belgium.

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