Damien Deroubaix sort du bois

Gilles Bechet
15 décembre 2017

Le Centre de la Gravure et de l’Image imprimée à invité Damien Deroubaix pour une retour sur ses quinze premières années de gravure sous le regard impassible de Celui devant Qui on ne jure pas.

On a chacun son purgatoire. Celui-ci est logé dans une cabane en bois. Sur les portes, des filles en bikini semblables à celles qui s’allument sur la paroi d’un flipper. On voit aussi un fétiche africain et des squelettes échappés d’une fête des morts mexicaine et à l’intérieur, une petite chaise pour regarder des visages au cerveau plein d’images. Dans un crâne bouillonne La Mort de Sardanapale de Delacroix, dans un autre la pochette d’un album du groupe de metal Slayer. Bienvenue dans le monde de Damien Deroubaix.
 

Matrices


Pour sa première exposition monographique en Belgique, l’artiste français revient sur 15 années de gravure. C’est après le choc d’une tapisserie d’après Guernica et un bouquin sur les gravures de Gauguin, que le jeune artiste a commencé à expérimenter cette technique dans l’atelier de gravure déserté des Beaux-Arts de Paris. Dix années de résidence à Berlin, patrie de l’expressionnisme, ont accéléré sa maturation artistique. Dans la première salle d’exposition, ce qui accroche l'œil, ce sont les larges panneaux de bois gravés et couverts d’encre noire. A l’origine, un accident comme souvent. Pour faire de la place, l’artiste avait posé contre le mur la matrice d’une gravure inachevée. Séduit par la puissance d’expression de ce matériau brut, il en a fait l'œuvre finale sur laquelle il revient à la peinture ou à la disqueuse. L’imagerie de beaucoup d’artistes est un distillat du contexte culturel et iconographique de son époque, chez ce zappeur culturel qu’est Damien Deroubaix, Dürer, Picasso et Delacroix rencontrent Slayer, Carcass et l’imagerie publicitaire contemporaine.

Son art tient du puzzle et de la citation. Les références à l’histoire de l’art et à la mythologie se répètent tel un riff de guitare. Des thématiques ou des symboles reviennent avec insistance. Squelettes et crânes d’animaux, ampoules noires mangeuses de lumière, croix gammées, requins ou miradors deviennent autant de signes pour faire écho à notre époque chaotique. L’apocalypse n’est pas loin, des anges et démons, venus parfois de temps très lointains sont là pour nous le rappeler.

 

Maîtrise des techniques


Au deuxième étage, dans un espace baigné de blanc, le visiteur est accueilli par un volume miroir à la cabane mais cette fois d’un blanc immaculé. L’artiste y a rassemblé quelques-uns des graveurs qui l’ont influencé ou de contemporains qu’il apprécie. On découvre aussi quelques peintures. Proches de son œuvre gravée dans leur thématique, on peut y voir une influence manifeste du nouvel expressionnisme allemand. Les 25 gravures de la série El origen del mundo déclinent des citations de Goya ou de Guernica et témoignent de sa maîtrise des techniques de gravures sur métal, eaux forte, aquatinte et pointe douce. Sollicité pour une intervention sur le site des verreries de Meisenthal en Moselle, il y a créé Homo Bulla, une grande sculpture en verre habitée d’une sarabande de squelettes. Différentes gravures et objets gravés s’en font écho. Le monde de Damien Deroubaix est dur et violent. C’est le nôtre, si on veut le voir comme ça. Et ce sont les coulisses où se trame et s’imprime une œuvre visionnaire et envoûtante.

 

Damien Deroubaix
Hier vloekt men niet
Centre de la Gravure et de l’Image imprimée
10 rue des Amours
7100 La Louvière
jusqu’au 1er avril 2018
Du mardi au dimanche de 10 à 18h
www.centredelagravure.be

 

Gilles Bechet

Rédacteur en chef

Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT

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