Ce qui se cache sous du temps qui passe

Mylène Mistre-Schaal
19 janvier 2022

Avec un titre qui donne envie de se lover bien au chaud au creux d’une après-midi sans fin, la dernière exposition à l'Art et Marges Musée joue la carte de la poésie. En déréglant la course effrénée du temps, Dans un pli du temps déploie des œuvres méditatives, immersives ou oniriques qui s’affranchissent de l’immédiateté et de la rentabilité. Une exposition chorale et très sensorielle pour évoquer l’impalpable.

Dans un pli du temps est une sorte d’origami temporel. Une quarantaine d’artistes ont été rassemblés autour de cinq thématiques porteuses par Tatiana Veress, commissaire de l’exposition et directrice du musée. Artistes insider et outsider se mêlent autour d’œuvres qui activent les sens (œuvres odorantes, tactiles ou sonores) pour mieux explorer la subjectivité du temps.


Temps et changements

Tout un chacun ne l’expérimente que trop bien, le temps érode la matière, creuse les vallées et redessine les contours des visages. Plusieurs des créations présentées à l'Art et Marges Museum saisissent les contours de cette incessante métamorphose. Le dessin imprévisible d’une plaque de cire qui fond progressivement au contact de la chaleur (Sybille Deligne, Transhumance). Ou celui de la pluie et de la lumière sur une feuille de papier, patiemment enregistré par John Ryan Brubaker dans les solitudes de l’Amérique profonde (Une minute de pluie, Neuf minutes de neige).

Dans ses délicates œuvres sur papier, Aline Forçain capte le bourdonnement de la terre. Son approche, pointilliste et pointilleuse, enregistre ces infimes variations comme autant de strates temporelles. L’envers du décor, gravure monumentale où le trait ondulant devient fourrure, dégage une aura mystérieuse qui happe l’œil autant que la main. Une vraie belle découverte que cette jeune artiste issue du monde agricole et désormais basée à Bruxelles.

Un autre petit moment de grâce s’offre au visiteur avec Rivages, installation à haute densité poétique imaginée par la plasticienne et vidéaste Ophélie Pruvost. Quelques galets, un peu d’eau et une voix au creux de nos oreilles suffisent à suspendre le cours du temps. Une expérience participative et méditative qui se vit plus qu’elle ne se raconte mais qui souligne la beauté des petits riens du quotidien.
 

Cartographies intemporelles 

Hormis quelques horloges de papier, une série de chiffres et un calendrier (qui n’est composé que de lundis !), Dans un pli du temps n’a pas l’œil fixé au cadran. Le rêve de temporalités parallèles, d’espaces immuables, l’emporte sur la froide comptabilité des minutes ou des jours.

Les paysages d’André Prues emportent les pupilles voyageuses vers des contrées imaginaires. Au feutre ou au pastel, ils évoquent tantôt des vues aériennes, des archipels inconnus en bleu et vert, ou des épidermes moussus. Tout un mur est consacré à cet artiste atypique, très bien représenté dans les collections du musée et issu de l’Atelier Campagn’art (ateliers du Centre Reine Fabiola, une institution qui accueille des personnes adultes handicapées mentales).

Dans une même veine, les dessins automatiques de Raphaël Lonné laissent le temps s’évaporer. Intemporels, presque mythologiques, ses labyrinthes psychédéliques grouillent d’infimes détails. Réalisés dans un état de transe, ces petits formats d’une grande intensité, résonnent parfaitement avec une grande et belle œuvre d’un autre artiste spirite, Augustin Lesage, mineur de fond devenu peintre. Une entrée médiumnique qui permet d’ouvrir une parenthèse d’art non occidental, avec, notamment, le travail tantra-folk de l’Indien Acharya Vyakul.
 

La postérité des mots

Quelle meilleure manière de retenir le temps qu’en le traduisant en mots ? Exposée au premier étage du musée, Suzanne De Slaeve évoque l’obsession des mots. De sa fine écriture, régulière, serrée, persévérante cette femme, par ailleurs internée dans une institution belge, n’a cessé d’écrire de longues lettres. Postées mais jamais envoyées, faute de timbres, ces missives évoquent une porte ouverte sur l’ailleurs. Tout aussi touchante est la quête de Kunizo Matsumoto, analphabète fasciné par l’écrit qui, le soir venu, noircit cahiers et calendriers d’un langage inventé.

Ecrire pour mieux désamorcer la fuite des jours, c’est aussi la voie qu’explore Fanny Viollet, sur les mouchoirs qu’elle glane au hasard des rues. Son aiguille tatoueuse de souvenirs brode un journal intime au jour le jour.

Laissons le mot de la fin à Juliette Zanon qui parsème ses dessins de gommettes de licornes, de couleurs franches et de jolis mots « Quand tout le cerveau danse avec le monde entier, quand tout le cerveau danse la transformation, quand tout à coup le cerveau danse ». Et c’est exactement l’effet que nous fait cette exposition, une chorégraphie réussie, pour mieux danser sur les plis du temps.

 

Dans un pli du temps 
Art et Marges Musée
314 rue Haute
1000 Bruxelles
Jusqu'au 13 mars 
Du mardi au dimanche de 11h à 18h 

http://www.artetmarges.be

Mylène Mistre-Schaal

Journaliste

Historienne de l’art avec un goût prononcé pour l’art contemporain, Mylène Mistre-Schaal est collaboratrice régulière pour le magazine culturel Novo. Elle écrit également pour le city-magazine français ZUT et pour la revue Hermès. Co-autrice du livre L’Emprise des Sens aux éditions Hazan, elle s’intéresse tout particulièrement aux rapports sans cesse renouvelés entre l’art et les cinq sens. 

 

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