Contretype présente Defected Times, la première exposition de Daphné Le Sergent en Belgique.
La pratique de Daphné Le Sergent est une hybridation de plusieurs médiums dont les ramifications s'étendent pour former un réseau complexe, comprenant différentes strates de lectures et d'interprétations. Telle une exploratrice, Daphné Le Sergent descend dans les profondeurs de l'image, emmenant aussi bien la photographie que la vidéo, le dessin ou l'installation. Avec deux corpus d'œuvres qui s’assemblent, photographies argentique et numérique sont abordées comme les deux faces d'une même pièce, pour construire une perspective sur l'image et sa matérialité, esquissant ainsi les contours d'une nouvelle histoire de la photographie.
La fiction principale posée par l'artiste est celle de la disparition de l'image par l'épuisement des ressources qui la constituent, posant ainsi la question de sa matérialité et de sa relation à la mémoire. Cette disparition des ressources est prédite dès le début de l'exposition par le Codex de 2031, un leporello comportant un texte traduit de l'anglais sous la forme de glyphes mayas, annonçant la disparition du minerai d'argent, élément essentiel de la photographie argentique. Comme extrait d'une fouille archéologique, ce bel objet au statut ambigu est en réalité l'œuvre de l'artiste qui tisse subtilement la trame d'un maillage serré, où science et art, histoire et fiction se nouent pour former le tissu d'un nouveau récit qui questionne notre relation aux discours, à leur autorité et aux liens qu'ils entretiennent avec nos imaginaires. Les potentialités spéculatives propres à la fiction se déploient dans la pratique de Daphné Le Sergent comme outils de création et de recherches, permettant à l'imaginaire d’investir des sentiers aussi bien théoriques que formels.
L'artiste entreprend une descente presque géologique dans la matière même de l'image, à travers les différentes couches qui la constituent. Ce terrain de recherche, celui de l’image et de sa fabrication, est senti dans son sens anthropologique, notamment dans la vidéo du premier étage L’image extractive, où le spectateur s’introduit dans un récit qui postule les origines de la photographie argentique à la période de la conquête du Nouveau Monde et à l’exploitation des mines d’argent. Cet univers mythique des pionniers, où l’extraction de ressources s’associe à la découverte de nouveaux territoires dont la nature exotique est fantasmée, s’esquisse également avec poésie dans une série de magnifiques photos-dessins La préciosité du regard et le désir des choses rares. Avec un système d’impression par transfert laissant des zones de réserves que l'artiste poursuit à la mine de plomb, l’imaginaire vient ainsi combler les espaces laissés vierges par la technique. La part de fantasmes qui se glissent dans ces interstices construisent ainsi la représentation de ces territoires merveilleux et luxuriants.
Les civilisations et leurs ruines, ainsi que les mythes qui les entourent sont ainsi au cœur de la pratique de Daphné Le Sergent. Enfoui au sous-sol, comme un noyau vital, le roman photographique Defected Times irrigue de sa fiction l’ensemble de l’exposition. 28 planches constituent cette fable qui est celle d’une société ayant dématérialisé sa mémoire, pour finir par s’effondrer suite aux spéculations réalisées sur la matière première nécessaire à son stockage. Ce palindrome, conçu pour être le journal d’une archéologue dans un sens, et celui d’une archiviste dans un autre, interroge notre relation à la mémoire, ainsi qu’à ses conditions matérielles d’existence.
L’ensemble de l’exposition remet en perspective notre relation à la représentation, et aux modalités concrètes qui la conditionnent, interrogeant ainsi notre rapport à l’image pour penser son existence dans des domaines qui excèdent largement celui de l’art, nous permettant de l'envisager dans sa dépendance aux ressources, et par conséquent, dans sa fragilité.
Daphné Le Sergent
Defected Times
Contretype
4a cité Fontainas
1060 Bruxelles
Jusqu'au 27 mai
Du mercredi au vendredi, de 12h à 18 h
Samedi et dimanche, de 13h à 18h
www.contretype.org
Journaliste
Diplômée de l’ERG en Arts Visuels, photographe mais pas seulement, Oriane Thomasson s’intéresse à l’art dans tous ses états, avec une prédilection pour les arts non-européen, le dessin, et la peinture. Passionnée de littérature, l’histoire naturelle et les voyages sont pour elle à la fois une source d’inspiration, et de fascination. Après avoir obtenu l’agrégation en arts plastique, écrire pour Mu in the city sur les expositions qu’elle voit lui permet de partager un regard sur l’art, et son enthousiasme pour les artistes.
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