Le M HKA d'Anvers propose une vaste rétrospective du travail de l'artiste performeuse espagnole Dora Garcia. Pour l'occasion, des performances seront présentées en continu dans le musée. Jusqu'au 21 mai.
Artiste pluridisciplinaire, Dora Garcia expérimente et développe un travail à l'intersection des arts plastiques, des arts vivants, du théâtre, de la psychanalyse et de la littérature où la performance occupe un place centrale. Habituellement, quand les performances entrent dans un musée, c'est sous la forme de vidéos, voire lors d'événement ponctuels. Avec Dora Garcia, les performances constituent l'essentiel de l'exposition et elles sont présentées au public du mercredi au dimanche. L'espace a en conséquence été conçu pour les accueillir. Les murs sont assez dégagés. De part et d'autre de la suite de salles, deux espaces marqués d'un cercle. Le sol est couvert d'inscriptions, de lignes et de diagrammes, une manière de tracer les frontières de territoires invisibles et d'ouvrir des chemins symboliques qui relient chaque espace et chaque performance. C'est une sensation étrange pour le spectateur d'être confronté à des œuvres vivantes, d'autant plus que les pièces de Dora Garcia ne sont pas démonstratives. Pas de mouvements brusques, pas de cris, ce sont des situations lentes presque méditatives, qui par essence donnent à voir l'épaisseur du temps. La performance change la perception de l'espace qui est alors dans un état de transformation permanente
Formée à la sculpture, Dora Garcia s'est lancée dans la performance quand elle résidait à Bruxelles. L'artiste espagnole se distingue de beaucoup d'autres performeurs en déléguant l'acte de la performance à d'autres et en proposant des performances qui ne cherchent pas une interaction directe avec le public mais plutôt à développer un narratif. Cette distance avec son œuvre permet de répéter la performance, mais aussi de la vendre à une institution ou à un musée qui en achète le protocole, c'est-à-dire une suite d'instructions précises qui peuvent éventuellement être adaptées par l'artiste en fonction de l'évolution technologique (téléphones ou ordinateurs, par exemple). Pour l'artiste, la performance est d'abord une réaction à l'idée du musée comme un espace neutre, le fameux white cube, en apportant des notions de présence, de durée ou de genre, avec cette idée que rien n'est permanent et que tout évolue.
Les mots She has many names qui donnent son titre à l'expo sont posés sur un mur en lettres dorées. Ils sont tirés d'un poème de Gloria Anzaldúa qui voit la femme comme une divinité en mutation perpétuelle. Une manière aussi de souligner que l'identité n'est pas un concept figé mais une notion à la jonction du psychologique, du culturel, du social et du politique.
Pour s'incarner, les performances ont besoin d'un espace symbolique, le cercle. Dans l'une d'elles, deux performeur.euse.s se font face et entrecroisent leur regard en se déplaçant dans deux cercles non concentriques. Dans une autre, une femme vêtue de blanc, assise par terre, lit des textes de poétesses, modulant sa voix entre murmure et proclamation.
Dans une autre encore, un homme déplie un tissu plié sur une chaise. Une fois étalé par terre, on peut y lire « Révolution, tiens ta promesse », un slogan brandi par la révolutionnaire mexicaine Margarita Robles de Mendoza lors d'une manifestation en 1936, pour souligner que les changements promis par la révolution se faisaient toujours attendre. En particulier pour les femmes.
Les références à des textes littéraires ou politiques abondent dans le travail de Dora Garcia, dans ce que Deleuze et Guattari appelaient une pensée en rhizome ou pensée arborescente, notamment avec La Peste d'Albert Camus, métaphore du fascisme qui transforme la ville et les gens. Il y a aussi The Bug une pièce satyrique de l'auteur russe Mayakovski, où un révolutionnaire s'endort en 1928 pour se réveiller 50 ans plus tard, emportant avec lui dans son voyage temporel une punaise de lit. Ces deux textes ont fait l'objet de performances participatives dont Dora Garcia nous montre quelques traces.
ALP, ou Anna Livia Plurabelle, est l'héroïne du Finnegans Wake de James Joyce. Elle est aussi celle qui a plusieurs noms, incarnant à la fois la Liffey, la rivière qui traverse Dublin, ainsi que certaines femmes de la mythologie. Comme un torrent chargé d'alluvions, son travail est nourri de références littéraires et politiques, ou de symboles comme le Coyolxauhqui, dessin d'un corps démembré retrouvé sur un monument aztèque qui fait référence au meurtre rituel d'une déesse par son frère, dont l'artiste fait le symbole des violences à l'égard des femmes.
Cette rétrospective se complète par la projection de deux films. Segunda Vez est la reconstitution de trois happenings réalisés en 1966-67 par l'Argentin Oscar Masotta. Amor Rojo, jamais projeté auparavant, part de la figure historique d'Alexandra Kolontai, une révolutionnaire soviétique, féministe et radicale, pour raconter 100 ans de l'histoire du féminisme en Amérique latine, où deux pays, le Mexique et l'Argentine, sont aujourd'hui à la pointe du combat féministe.
Dora Garcia
Elle a plusieurs noms
M HKA
Leuvenstraat 32
2000 Anvers
Jusqu'au 21 mai
Du mardi au dimanche de 11h à 18h, le jeudi jusqu'à 21h
Performances du mercredi au dimanche de 14h à 17h
www.muhka.be
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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