Combien de mondes différents se cachent derrière la pratique individuelle et les dessins des 53 artistes participant à l’exposition Drawing - The bottom Line au S.M.A.K à Gand ? Moyen d’expression personnel inépuisable, le dessin est trame, équilibre, rature, tache, lien, espace, simple esquisse ou simple trace, voire abstraction. Il envahit les murs, se juxtapose aux photos, s’exprime en vidéo, en art graphique, résulte d’une performance. Parfois passionné, parfois intime, empruntant à la tradition ou s’en écartant radicalement, le dessin devient une manière de penser, une expression en toute liberté, une réflexion. Il est acte culturel essentiel.
Faire une exposition sur le dessin, c’est aussi remonter aux origines de l’histoire de l’art. Il est celui qui s’est adapté à toute spécificité culturelle, à chaque mouvement artistique jusqu’aux formes émergentes de la performance, du happening et de l’expérimentation. En ce XXIe siècle, où chaque seconde se retrouve contrôlée par les médias digitaux et où le corps semble être le seul refuge de l’art, le dessin devient un moyen physique d’expression, une manière gestuelle de penser, de respirer et d’agir qui s’exprime n’importe où et à chaque instant, telle une urgence. Quand nos libertés individuelles sont mises à mal, le dessin ne se révèle-t-il pas être aussi le moyen de se les recréer ? C’est dans toute sa richesse formelle qu’il s’exprime dans cette exposition.
Dessin en action chez Adel Abdessemed qui, relié à un hélicoptère, lutte physiquement pour exécuter un grand cercle sur le sol. Salam Atta Sabri raconte dans un ordre pictural oppressant et surchargé la tragédie de son retour à Bagdad. Plus de 3000 dessins de Thomas Bogaert restituent dans un film d’animation le passage chaotique de skieurs sur les flans d’une montagne. Plus politique, Francis Alÿs photographie les traces de ses itinéraires. En 2004, il trace à la peinture verte la ligne de démarcation entre la Jérusalem juive et palestinienne.
Dessins gestuels chez William Anastasi, qui questionne l’acte même de dessiner et livre ici un très beau Sound drawing. Bercé par ses influences hip hop, Robin Rhode active ses dessins muraux en autant d’expériences physiques explicites capturés sur photos. Dans des variations rythmées de points, de traits et de lignes, Bart Stolle évoque la manière dont les ordinateurs dessinent et l’impact de la diffusion de plus en plus rapide des images sur la façon dont nous regardons.
Le dessin d’Edith Dekyndt laisse le monde s’exprimer. Dans sa vidéo Dead Sea Drawings, l’eau salée imprime elle-même son empreinte sur le support. Dans une installation, Nikolaus Gansterer analyse l’identité de la pensée et du dessin en nous restituant une chorégraphie complexe entre pensée et matière.
Un dessin, révélateur de bien des mondes intérieurs aussi : Michaël Borremans s’emploie à rendre des environnements familiers étranges ; Anna Barriball transcrit le son en dessin mural, démultipliant le modèle abstrait de panneaux acoustiques et Julian Göthe déploie ses lignes enfermant l’espace dans une géométrie stricte et rigide. Plus loin, Jorinde Voigt développe des formes au départ de fragments de textes dans un vaste espace fait d’images et d’idées. Trace sensible chez Nick Mauss, avec ses planches-contacts réalisées à partir d’un négatif en verre fumé. Alors que la main de Gabriel Orozco se fait dessin et se superpose à l’empreinte de feuilles d’arbres. Une idée de représentation universelle chez Thierry de Cordier, quand il fait fusionner des images de la femme en un seul motif les représentant toutes. Finalement, immersion totale dans le Wall Drawing Nr 36 de Sol LeWitt, pour la première fois visible depuis l’inauguration du musée en 1999.
Drawing - The Bottom Line présente une sélection subjective de positions artistiques contemporaines, du dessin pur, une réflexion sur ce qu’est le dessin dans un monde où l’avant-garde se retrouve sans cesse dépassée. Ainsi donc, de simples lignes émergent les formes et l’expression de nouveaux départs. Et leurs empreintes portent en elles de fines parcelles de temps et de nos aspirations séculaires. Votre visite sera complétée par la très belle parution éponyme éditée par le Fonds Mercator. La sélection impressionnante du directeur artistique Philippe Van Cauteren et du curateur principal Martin Germann reflète le dessin contemporain dans toute sa diversité.
Drawing - The Bottom Line
S.M.A.K.
1 Jan Hoetplein
9000 Gent
Jusqu’au 31 janvier 2016
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
www.smak.be
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