Ed Atkins : tête à tête, bout à bout

Manon Paulus
11 mai 2023

En jaune et rouge, les autoportraits bicolores d’Ed Atkins se mêlent aux oscillations de sa prose qui se découvre dans des petits carnets mis à disposition des visiteurs. Au morcellement du corps se confronte le flux de la pensée dans cette courte mais vive exposition, à la galerie dépendance jusqu’au 20 mai.

Déjà en 2018, l’artiste avait choisi d’exposer uniquement des dessins dans la galerie bruxelloise, en mettant temporairement de côté les vidéos d’animation 3D qui ont fait sa renommée. Cette fois-ci encore, ni sons, ni images animées, mais principalement des autoportraits, méticuleusement tracés au crayon rouge sur des feuilles jaunes. Un visage, le sien, porte cet air grave plein de mélancolie qui hante bien souvent ses vidéos. On retrouve un travail de la texture et de la matière mais sous une autre forme. Bien que très rigoureusement représenté, l’artiste est difficilement reconnaissable dans ces dessins, même quand il fixe le spectateur droit dans les yeux. Le faciès est décliné sous plusieurs angles de vue, mais reconstituer l’entité n’est pas une tâche facile, même en mettant bout à bout les différents morceaux. Figé, il apparaît presque monstrueux dans cette figure aux traits appuyés, martelés comme les lettres d'une machine à écrire sur du papier.


Soliloques existentiels

L’écriture et le travail visuel d’Ed Atkins vont d’ailleurs toujours de pair, notamment dans ses vidéos générées par ordinateur où l’artiste se joue de personnages perdus dans des soliloques existentiels ou dans des espaces marquants d’étrangeté. Il prête parfois ses propres expressions faciales à ces bonshommes de substitution ou ces "cadavres" (comme il aime les appeler), grâce à des technologies de reconnaissance du visage. C’est dans ce miroir déformant et volontairement grotesque qu’Atkins cherche à saisir le manque qui est inhérent à la représentation, mais aussi au langage. Le mouvement est, dans un sens, toujours au cœur de sa pratique, même quand l’œuvre est dessinée ou écrite, car il paraît vouloir créer une vague, un va-et-vient d’attraction et de répulsion, d’introspection et de réverbération, pour faire ressentir au spectateur cette douloureuse réalité.


Peau fripée

Le rapport au corps, particulièrement à travers le digital, est bien sûr largement exploré dans son travail. Rien d’étonnant, dans ce cas, à voir l’artiste ramener ses considérations sur le papier, qui porte en lui la même fragilité que les choses mortelles. Au milieu des visages, les deux lavis représentant des matelas à la housse chiffonnée suggèrent la mollesse d’une peau fripée par le temps. L’enveloppe, cette fine couche qui sépare deux mondes, est traitée avec une importance toute particulière par Atkins, qui se concentre d’habitude sur celle de ses personnages virtuels. Ses reliefs, ses imperfections, ses sécrétions sont omniprésents dans les vidéos pour évoquer encore cette corporalité qui leur fait défaut, mais qui se rapporte bien à la nôtre. Le matelas, quant à lui, rappelle en creux le corps qu’il supporte et soutient pendant la nuit.

Ce tête-à-tête une fois terminé, se prolonge par une lecture qui accompagne l’exposition. Le texte nommé Marble est une sorte de ruminement mental à la fois délicieusement familier et joyeusement misérable qui permet, non pas d’expliquer ou justifier quoi que ce soit de son travail, mais au contraire de l’opacifier encore, pour mieux nous plonger dans ses rouages. 

 

Ed Atkins
Galerie dépendance
4, rue du Marché aux Porcs
1000 Bruxelles
Jusqu'au 20 mai
Du mercredi au samedi, de 12h à 18h

dependance

Manon Paulus

Journaliste

Formée à l’anthropologie à l’Université libre de Bruxelles, elle s’intéresse à l’humain. L’aborder via l’art alimente sa propre compréhension. Elle aime particulièrement écrire sur les convergences que ces deux disciplines peuvent entretenir.

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