Edith Dekyndt ou la science de la métamorphose

Elisabeth Martin
23 février 2016

Imaginative, expérimentale et réflexive, Edith Dekyndt vient habiter le Wiels pour sa première rétrospective en Belgique. L’ancienne brasserie distille son essence, devient une co-présence, terrain de jeu et laboratoire d’un parcours riche d’idées et de pratiques plastiques multiformes. L’artiste s’y installe, épouse le lieu, s’en imprègne et s’en inspire, en mettant à l’œuvre des substances issues de son histoire et de sa proximité immédiate. Elle élève la notion d'interaction et d'interdépendance à un incroyable degré d’intensité et de complexité !  

Une brise soutenue fait ondoyer un étendard de cheveux. Ombre indigène est une œuvre créée par l'artiste en hommage à Edouard Glissant, inhumé dans la commune de Diamant en Martinique. Ce poète et écrivain martiniquais a clamé son attachement au lieu premier, aux origines. Philosophe et figure de haut vol, il a marqué significativement la pensée et la littérature contemporaines en militant pour une identité créole ouverture au monde. Voilà pour le titre.

Brossons ensuite le portrait de l'artiste. Une méthode expérimentale, à la fois chimique et plastique. Une simplicité éloquente, une sobriété ténue et une esthétique du banal, des matériaux et des objets. Entre la macroscopie et la microscopie, entre le singulier et l'universel. Ampleur et minutie ensemble. La matière et rien que la matière. En action ou bien en réaction, en évolution, toujours à l’œuvre, elle devient un sujet d'étude pour une artiste qui observe les fluides, l'eau, la lumière ou les tissus. Fascinée par les processus, elle teste, met à jour des rapports indicibles, révèle charme et mystère des procédés scientifiques. Un engagement avec l'inconnu. Comme si elle attendait de potentielles révélations. Car Dekyndt respecte la spontanéité inhérente aux phénomènes naturels et adore les états de transition. Avec un savoir de physicienne, elle explore le champ du possible, parle interactions, compile des expériences simples qu'elle partage avec un public qui, de surprise en surprise, apprécie la poétique de la relation. Un art de la transformation, de la rencontre de matières et de substances entre elles. Un travail conducteur où la plasticienne belge met subtilement le doigt sur notre perception. Sur le souci du monde aussi. Au-delà des apparences, un intérêt pour le temps qui passe, la notion de dégradation, pour l'environnement et l'écosystème d'une planète que l'on malmène.

L’univers est constitué de matière, d’atomes et de particules. Edith Dekyndt le sait bien. Il est régi par des forces fondamentales dont l’interaction forte et l’interaction faible. Par des phénomènes physiques et chimiques. Elle ne l’ignore pas, bien au contraire !  Et mêle l’art, la science et la réalité dans la même éprouvette. L'économie de moyens est frappante. Thousand and one Night est notre premier coup de cœur. Au sol une poussière grise prise sous un faisceau de lumière. Un conglomérat de particules qui n'est autre que la poussière ramassée au Wiels pendant un an !  A proximité un tapis d'inspiration ethnique recouvert de feuilles d'argent. Cette matière est destinée à s'assombrir progressivement au contact de la lumière. Quelques mètres plus loin, Laborator 01 est un immense rideau de coton imprégné de café par capillarité. La vidéo Gowanus montre des taches de pétrole, inquiétants nénuphars sur la surface du Canal Gowanus qui traverse Brooklyn.

Au deuxième étage, The Deodants 02 est fait de chlorure de calcium et de cuivre  à l'intérieur d'une  toile de coton tendue sur un châssis. Les grandes cuves de l'entrée du bâtiment,  autrefois lieu de brassage de la bière, sont en cuivre. Un investissement mental, sensible et physique du lieu par l'artiste. Arrêtons-nous devant cette matière en suspension dans un aquarium. Ou devant l'installation A.T.P.A.P.B.L.L.E.E. Une pomme et une table questionnent les limites éthiques des manipulations scientifiques sur le vivant.

Une quarantaine d'œuvres. De ses créations d'origine à ses œuvres toutes récentes, une manière poétique et métaphorique de réfléchir sur le monde et d'interroger notre action sur l'environnement. L'artiste décrit "Une vitalité matérielle et subjective qui ne m’appartient pas".  Surtout ne touchez à rien. 

Originaire d' Ypres, Edith Dekyndt (1960) partage son temps entre Tournai et Berlin où elle est accueillie en résidence à la DAAD. Après des études en communication visuelle, elle entre dans l'atelier "Images Imprimées" de l'Ecole des Beaux Arts de Mons avant de partir en Italie faire des recherches sur Piero della Francesca.  Elle enseigne à partir de 1997 à l'ESAD de Strasbourg et fonde en 1999 l' Universal Research of Subjectivity. Vidéaste, dessinatrice et sculptrice internationalement reconnue, elle fait partie de la collection du  MOMA.  Ombre Indigène fait suite à l'exposition conçue par le Consortium de Dijon sous le titre Théorème des Foudres.

Edith Dekyndt
Ombre indigene
Wiels
354 avenue Van Volxem
1190 Bruxelles
Du mardi au dimanche de 11h à 18h
Jusqu'au 24 avril
www.wiels.org

 

Elisabeth Martin

Rédactrice

Traductrice puis pédagogue de formation, depuis toujours sensible à ce vaste continent qu’est l’art. Elle poursuit des études de sociologie et d’histoire de l’art avant de relever le défi de dire avec des mots ce que les artistes disent sans mots. Une tâche d’interprète en somme entre deux langages distincts. Partager le frisson artistique et transmettre l’expérience esthétique et cet autre rapport au monde avec clarté au lecteur, c’est une chance. Une sorte de mission dont elle nourrit ses textes.

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