Dans un jardin de fils

Gilles Bechet
19 juin 2021

Double exposition pour Elise Peroi,qui déploie ses subtils paysages textiles au Botanique et à la Tour à Plomb.

Les liens entre le jardinier et le tisserand sont nombreux. L'un racle la terre de son râteau tandis que l'autre lisse les fils de son peigne. Pour faire germer des vies ou des histoires. Ils se rejoignent dans leur geste, méditatif et physique, qui requiert patience et répétition. Tous deux sont créateurs d'espaces où le mental se superpose au physique. Très tôt dans son travail du médium textile, Elise Peroi s'est intéressée au paysage et à sa représentation. Un paysage qu'elle approche dans les deux expositions complémentaires proposées au Botanique et au Centre culturel de la Tour à Plomb. La première nous attire en forêt. Au centre de l'espace blanc de la galerie, une monumentale installation en quatre panneaux. Quatre visions de la forêt, du sombre au lumineux. Un paysage qui s'offre à nous tel une peinture mais traversé de vides et de lumières comme les frondaisons sylvestres traversées par les pinceaux du soleil. Un paysage qu'on balaie verticalement du regard, des frondaisons tapissées de branchages aux cimes clairsemées. « C'est une œuvre qui questionne la forêt, ce qui est en suspens, en attente pour accompagner la croissance de la graine à la futaie », glisse l'artiste.

Un paysage qui révèle une part de sa maestria technique quand on s'en approche. Au commencement, il y a une peinture sur soie qu'Elise Peroi découpe en fines lanières qu'elle va ensuite retisser, bande par bande, dans une chaîne de lin pour recréer le motif dessiné au préalable. Le jeu sculptural de la double chaîne crée du volume, de la transparence et du souffle, renforçant le lien physique qui porte le regard du spectateur. Avec un autoportrait, elle joue sur le caractère décoratif de ses compositions où la figure humaine apparaît et disparaît dans les motifs végétaux qui rappellent ceux d'un papier peint art and craft.

Dans une autre œuvre d'une touchante simplicité, l'artiste a tissé son fil autour des faisceaux de graminées récoltées au début du premier confinement. Un fragment de jardin en suspens, accroché au mur, figé dans le temps, et qui ne grandira plus si ce n'est dans l'esprit du spectateur. Elle a aussi ramené avec elle le sous-bois présenté à la Maison des Arts, mais qui est ici roulé sur lui-même renvoyant l'envers à l'endroit.


Comme des parcelles de jardin

Autant l'exposition du Botanique joue sur la verticalité, autant celle de la Tour à Plomb invite le regard à l'horizontalité du jardin que l'on contemple de haut. Les tapisseries ont ici fait place à un tissage en tuftage, comme sur les tapis. Un procédé manuel, long et répétitif, qui préfigure le traitement mécanique. Sous les combles, dans une grande salle lambrissée de bois clair, les différentes œuvres sont posées à l'horizontale comme des parcelles de jardin, donnant l'impression de flotter sur la pièce d'eau d'un jardin japonais.

On contourne les compositions qui n'ont pas de sens de lecture privilégié en se plongeant dans les détails, ici une mosaïque de feuilles, des bruissements de couleurs passées dans les teintes ocre, vert d'eau ou bleu éteint. Parfois apparaît une silhouette humaine intégrée au paysage. « Les artistes sont devant les paysages, alors que les cultivateurs et jardiniers sont dedans. Avec mon travail, j'aimerais être dans le paysage, mais c'est difficile », remarque Elise.

Çà et là, des vasques en cuivre qui contiennent des fragments végétaux, écho de performances passées, confèrent à l'espace une cohérence qui va au-delà des seules pièces textiles. Des aquarelles témoignent des premières étapes de travail où s'esquissent des fragments de paysage, des personnages échappés de La Chute d'Icare de Breughel.


Vers les astres

Flottant dans l'air comme un soleil levant, se dresse Helios une pièce de 2018, réalisée après une résidence au Maroc. La première de sa série. Le losange qui s'ouvre en son centre comme une porte, rappelle à quel point nos vies terrestres sont tournées vers les astres. L'heureux paradoxe du travail d'Elise Peroi, c'est que, bien que nourri de la lecture de philosophes et de penseurs de la nature et du jardin comme Gilles Clément, Emanuelle Coccia ou Augustin Berque, il n'a pas besoin d'être décodé ni expliqué, il se suffit à lui même dans l'évidence de ses matières et de ses couleurs.

On se demanderait presque si les œuvres d'Elise Peroi se mettent à pousser quand on a le dos tourné. Sans doute pas, mais sait-on jamais. C'est en tout cas une bonne raison de retourner les voir. « Sur cette terre, on est tous des jardiniers », conclut l'artiste.

Elise Peroi
Là où se trouve la forêt
Botanique
236 rue Royale
1210 Bruxelles
Jusqu'au 11 juillet 
Du mercredi au dimanche de 12h à 20h
www.botanique.be


Faire sillons
Centre de la Tour à Plomb
24 rue de l'Abattoir
1000 Bruxelles
Jusqu'au 10 juillet
Du lundi au samedi de 10h à 21h
www.touraplomb.be

 

Gilles Bechet

Rédacteur en chef

Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT

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