Chez Rossi Contemporary, Emmanuel Tête partage ses visions oniriques d'un déluge faisant écho à nos inquiétudes contemporaines.
Quand viendra le déluge, à quoi allons-nous nous raccrocher au moment du sauve-qui-peut ? Un débris flottant, un lit, une tente ou une croix ? Peu importe, du moment que ça flotte. Ce qui compte finalement, ce qui nous sauvera, c'est la certitude de faire communauté dans toutes nos individualités et nos manies.
Discrètement, Emmanuel Tête dessine une œuvre qui tire sa cohérence de sa singularité et de son étrangeté. Comme s'il nous donnait des nouvelles d'un autre monde dont lui seul a les clés. Les images qu'il nous renvoie évoquent la douceur hiératique du quattrocento et les mondes rêvés ou cauchemardés sur les couvertures des pulp magazines. Tel un démiurge, il met en scène des personnages accaparés par des activités et des rituels qui partiellement nous échappent. La grande surprise de cette nouvelle exposition, c'est que l'artiste s'est mis à la couleur. Des couleurs denses et lumineuses obtenues par application répétée de pastels secs. Des couleurs qui naissent de la forme souvent soumise à un éclairage contrasté. Sur Le rêve du Titien, des éclats de rose prêts à s'envoler que se partagent les personnages grimpés sur des socles pour repousser les nuages sombres accrochés à l'horizon.
Emmanuel Tête est avant tout un raconteur d'histoires. Des histoires en suspension qui n'existent que dans l'esprit du spectateur. La logique qui fait tourner ce monde est celle du rêve. Sans passé, sans futur, les personnages se définissant par le présent éternel de leur action ou de leur inaction. Une catastrophe quelle qu'elle soit signifie autant la fin d'un monde que l'avènement d'un autre. Aussi brutale soit-elle, elle peut nous apparaître rétrospectivement comme un passage obligé pour se débarrasser d'un monde qui a fait son temps. Comme les deux faces d'une même pièce, Emmanuel Tête fait cohabiter la destruction et la reconstruction. Le déluge peut faire écho aux flots d'inquiétude qui nous submergent face à la pandémie ou à l'incertitude économique ou climatique. Il n'y a pas de réponse collective, chacun réagit de manière individuelle avec un certain fatalisme en équilibre sur son faîte de toit ou sur sa jardinière. Quand le moment est venu de bâtir, les gens se mettent à travailler ensemble à pousser les montagnes. L'esprit dégagé, on peut penser à faire de la musique ensemble. Tête aime bien les formats allongés où il déroule des processions, en musique, la bannière flottant au vent. Mais malicieusement, l'artiste ne nous dit pas ce qui vient avant, la destruction ou la reconstruction. Comme l'œuf et la poule.
Emmanuel Tête
Dans la peau du déluge
Rossi Contemporary
Rivoli Building
Ground floor #17
Chaussée de Waterloo 690
1180 Bruxelles
Jusqu'au 8 janvier 2022
Du jeudi au vendredi de 13h à 18h
Samedi de 14h à 18h
www.rossicontemporary.be
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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