Eric Croes, accoucheur de chimères

Muriel de Crayencour
12 novembre 2015

C'est la terre glaise qui fascine Croes. Il la modèle, s'en empare, la malmène, la troue, la met en forme, la bossèle... pour lui faire dire des choses, des charades, des cadavres exquis, dans la plus pure tradition des surréalistes. Ces jeux de mots auxquels s'adonnaient les surréalistes, Eric Croes les retranscrit en volume.

La glaise, si malléable, lui permet toutes les folies. Et c'est à la frontière entre art et arts décoratifs qu'il s'exprime. L'artiste est arrivé à la plénitude de son travail de la terre cuite lorsqu’il a découvert les céramiques de Gauguin, qui l’ont confirmé dans sa pratique à l’encontre des clivages. Gauguin le peintre qui s’essaye à un art dit mineur, Gauguin qui fuit un jour la civilisation pour retrouver une essence dans la vie dite sauvage et primitive. Les avant-gardes de la fin du XIXe siècle et de l’entre-deux-guerres ont en effet joué un rôle capital à déclasser en collectionnant les arts premiers, les arts populaires, l’art naïf, et à développer une idée d’un monde construit sur la juxtaposition d’idées et d’objets antinomiques. Mais voyons-y aussi les céramiques de Picasso, qui transformait une cruche en un visage et déformait une assiette pour la faire sourire.

Eric Croes est né en 1978 à La Louvière. Il vit et travaille à Bruxelles. Artiste de la galerie Rossicontemporary, Albert Baronian, dont il fut le régisseur pendant longtemps, lui a offert la possibilité d'exposer chez lui. Nous avions pu découvrir son travail, parfaitement réjouissant, chez Rossi, en mai. La série de sculptures présentées détaillait des formes choisies et répétées : la patte d'ours, le tronc d'arbre, la boule de neige... Aujourd'hui, Eric Croes a fait évoluer à la fois ses émaux – qui gagnent en subtilité avec des surfaces tachetées, des coulures –  et les surfaces qui servent à graver un dessin. Ainsi, chaque sculpture déploie de nombreux niveaux de lecture. Certains primitifs, inconscients, d'autres très réfléchis et intellectuels. C'est cet assemblage sans complexe, parfois proche de l'art brut, mais avec un savoir-faire parfaitement maîtrisé – Croes possède son propre four et travaille chaque céramique de A à Z chez lui – qui rend chaque sculpture si jubilatoire.

Ainsi, un tigre surmonte un éléphant rouge ou une cruche jaune vif s'affuble d'un visage et de grandes oreilles. Un totem associe une tête de bonhomme de neige avec un tronc, un vase, une licorne, un caillou. Une clé de maison est surmontée d'un diamant, une licorne du meilleur effet s'habille d'un glacis bleu subtil. Finalement, l'artiste est un accoucheur de chimères. Ces monstres fabuleux, à la tête de lion, ventre de chèvre et queue de dragon, il les met au monde et les voilà qui sont posés là, aguichant l'œil du visiteur et le rendant heureux. Mu aime !

 

Eric Croes
Platypus
Galerie Albert Baronian
2 rue Isidore Verheyden
1050 Ixelles
Du mardi au samedi de 12h à 18h
http://albertbaronian.com/

 

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.