Carton vert pour les jardins d’Eva Jospin

Mylène Mistre-Schaal
09 mai 2023

À la Fondation Thalie, Eva Jospin présente des œuvres alliant la légèreté du carton à la densité des sous-bois. Pensée comme une série de fenêtres ouvertes sur un paysage imaginaire, l’exposition Panorama offre un bel aperçu de l’univers de l’artiste française, mâtiné de mythologie, ponctué de jardins, de grottes et d’impénétrables forêts…
 

Les cartons sont partout. Ils nous attendent sur le pas de la porte, s’empilent dans nos greniers, débordent de nos poubelles et accompagnent chacun de nos grands départs. C’est d’ailleurs au hasard d’un déménagement, il y a une quinzaine d’années, qu’Eva Jospin emploie pour la première fois ce matériau, qui deviendra son médium de prédilection.


Des illusions en carton

« C’est un peu comme si je figeais la course folle de tous ces cartons qui font le tour du monde, sur des paquebots ou dans des conteneurs. Comme si je les sortais un instant de la frénésie pour en faire des objets de contemplation », nous confie l’artiste.

Accessible et abordable, le carton lui laisse une liberté inégalée. Celle de tenter, de se tromper, de faire et de défaire. Travaillées au bistouri, taillées à la scie ou marquetées avec la méticulosité de l’artisan d’art, la quinzaine d’œuvres présentées à la Fondation Thalie révèle la versatilité du papier. De délicieux trompe-l’œil qui imitent les veines du bois, l’érosion de la roche ou la délicatesse du végétal.


Un balcon en forêt

Qu’elle suive les lignes indomptées des sous-bois ou les contours mystérieux d’une grotte, Eva Jospin donne du relief à n’importe quel morceau de paysage. Elle présente ses tableaux comme des fenêtres, on y voit des dioramas ouverts sur l’imaginaire. Grande Forêt, haut-relief à la perspective assourdie par un fouillis de branches, nous donne pourtant envie de s'enfoncer au plus profond des fourrés. Partout, le carton se déploie en trois dimensions, haptique. Parfois un coquillage ou la cupule d’un gland viennent se loger entre deux strates de matière pour mieux rompre avec l’uniformité beige du médium.

Au centre de l’exposition, la sculpture Nymphée déroule la maquette d’un jardin fantasmé sur près de trois mètres de long. « Mon rêve d’artiste, c’est d’un jour peut-être posséder un tel jardin. En attendant que ce soit le cas, je le matérialise dans mes expositions », ajoute l’artiste. Quand on laisse nos yeux y flâner, folies baroques, rocailles, colonnades et autres cascades disent le tropisme italien d’Eva Jospin, qui fut résidente à la Villa Médicis de 2016-2017. Son rapport au paysage est d’ailleurs façonné par la fréquentation des peintures et tapisseries du Quattrocento italien : « J’ai toujours été frappée par les arrière-plans des tableaux de la Renaissance et par la vie parallèle qui s’y développe. Ils sont souvent assez loin de la réalité de ce qui se passe au premier plan et laissent le champ libre à l’imagination. » Un appétit certain pour les mystères d’un décor qui, entre nature sauvage et jardin d’agrément, cultive une fascinante dualité.


Les fils de l’imaginaire

Si le carton se déploie sous toutes ses formes, Panorama présente également quelques œuvres plus récentes où le textile rejoint le papier et où la couleur fait son apparition. Dans la bibliothèque de la Fondation, d’exubérantes broderies de soie miment les entrelacs des futaies dans un jeu de couleurs et de textures remarquable.

Ces travaux d’aiguille ont été réalisés par la prestigieuse Chanakya School of Craft de Mumbai d’après les dessins d’Eva Jospin. L’un d’entre eux, Encre des grottes, est visible dans la grande salle de la Fondation. Réalisé à l’encre noire sur fond blanc, il s’affiche dans toute sa complexité graphique de strates et de délinéations. « Pour cette série, tout comme pour le décor du défilé Dior [Eva Jospin a travaillé avec Maria Grazia Chiuri sur le décor du défilé Dior automne-hiver 2021-2022], je me suis inspirée de la Salle des broderies indiennes du Palazzo Colonna à Rome, dont les murs sont couverts d’une sorte de jungle peuplée d’animaux, intégralement brodée à la main. »

De la ligne du dessin à celle du fil en passant par les saillies du carton, Eva Jospin façonne un univers qui oscille entre le paysage romantique et les fastes décatis de la Rome antique. Ses forêts, magnifiques et impénétrables, semblent sorties d’un conte (ou d’une gravure de Gustave Doré). Ses rocailles, ruines et autres caprices, offrent un pèlerinage mythologique sans pareil.

 

Panorama, Eva Jospin
Fondation Thalie
15 rue Buchholtz
1050 Bruxelles
Jusqu’au 15 juillet 
Du mercredi au samedi de 12h à 18h
www.fondationthalie.org

Mylène Mistre-Schaal

Journaliste

Historienne de l’art avec un goût prononcé pour l’art contemporain, Mylène Mistre-Schaal est collaboratrice régulière pour le magazine culturel Novo. Elle écrit également pour le city-magazine français ZUT et pour la revue Hermès. Co-autrice du livre L’Emprise des Sens aux éditions Hazan, elle s’intéresse tout particulièrement aux rapports sans cesse renouvelés entre l’art et les cinq sens.