Explorer les liens familiaux dans toute leur complexité, dans le passé et le présent, c'est ce que propose la Fondation Boghossian dans cette exposition où s'exprime largement la richesse et la diversité de l'art vidéo.
L'art vidéo est incroyablement varié en contenu et en format et parfois un peu frustrant pour le visiteur d'une exposition qui a l'impression de perdre la maîtrise du temps, avec des vidéos qui démarrent à leur propre rythme. L'exposition Family Matters, proposée par la Fondation Boghossian, se fait l'écho de cette diversité avec une majorité de formats courts pour composer un parcours qui ne s'étire pas en longueur. Pour aborder le discours intime de la famille et son patchwork d'émotions, l'art vidéo, avec ses images qui avancent, qui flottent, et parfois qui imitent et font semblant, la vidéo est un médium et un langage qui va de soi. Qu'est-ce que la famille ?
Qu'est-ce qui la fait exister, sinon les rassemblements ? Plusieurs artistes s'en emparent, comme Amélie Berrodier, qui a fait du repas de famille une performance. Elle a réuni ses proches pour un repas avec pour seule consigne de ne pas piper mot. Elle les filme attablés comme dans la Dernière Cène. Les seuls dialogues sont ceux des regards, accompagnés par les cliquetis de la vaisselle et des couverts. La méditation est celle de la mastication, des raclements de gorge qui ponctuent les silences. Débarrassés des paroles ou conversations obligées, le rituel du repas gagne en intensité.
Avec Ariane Loze, la réunion de famille devient un acte narcissique qui tourne en boucle. Fidèle à son modus operandi, l'artiste se dirige et se met en scène dans Chez nous, avec une maestria fascinante. C'est elle, en effet, qui interprète tous les personnages de la famille réunie pour un repas de Noël dans la maison de la mère. Habillée et coiffée chaque fois différemment, elle dialogue avec elle-même dans un ping-pong verbal teinté d'un détachement ironique.
Dans All Together Now, Hans Op de Beeck filme aussi comme une symphonie de chambre les réunions rituelles familiales et communautaires que sont les repas de mariage, d'anniversaire et de funérailles. Un temps suspendu où se mélangent les invités d'âge et d'origine divers. Les réunions peuvent tournent au conflit sans que l'on sache vraiment quand cela tourne au vinaigre ou au crêpage de chignon.
Les deux jeunes femmes qui se retrouvent dans The Combing d'Elke Andreas Boon commencent par se peigner l'une l'autre avec beaucoup de tendresse et de sensualité, mais progressivement la brosse sort ses griffes et l'étreinte vire au pugilat.
Avec Violent Incident de Bruce Nauman, ce qui commence comme un tendre repas en amoureux escalade très vite vers un affrontement filmé comme une chorégraphie où tous les coups, même les plus vicieux, sont permis. Mais là où l'artiste et vidéaste américain nous trouble vraiment, c'est qu'il propose quatre versions de la même scène, en intervertissant les personnages masculins et féminins, les rôles de dominant et de dominé.
Les histoires de famille sont aussi des histoires de transmission et de génération. Mais qui dit transmission dit aussi transformation voire dilution, c'est ce que nous dit Zineb Sedira dans Mother Tongue, qui met côte à côte trois dialogues entre deux femmes de trois générations. Si l'artiste peut parler arabe avec sa mère et français avec sa fille, quand celle-ci se retrouve face à sa grand-mère, elles sont toutes deux figées dans un silence pesant qui est une forme d'éloignement.
Dans Transmission Line, Sophie Whettnall met aussi en scène et en lumière la nature difficile et fuyante de la transmission dans un triptyque magnifié par des images noir et blanc, visuellement éblouissantes, centrées sur les visages et les regards des protagonistes.
Sandra Heremans se confronte à son héritage en racontant à partir d'images d'archives, et d'après ce qu'on lui a transmis, comment son père missionnaire, belge et blanc, a rencontré et est tombé amoureux de sa mère rwandaise. La transmission peut passer par des choses aussi anodines qu'une recette de gâteau, comme le suggère Kika Nicolela dans son hilarante vidéo où elle interprète de façon décalée et destroy la recette de cake chantée par Catherine Deneuve dans Peau d'âne.
La famille existe aussi dans les souvenirs, ceux qu'on se raconte et ceux qui ont été cachés et qui se dévoilent. Le jour où il se décide à faire son coming-out devant sa grand-mère, Paul Gérard apprend que son grand-père a été dans la même situation, mais dans une époque bien moins ouverte que la nôtre. Et dans son cas, cette révélation a sans doute été à l'origine de sa fin violente. Le jeune artiste bruxellois raconte cette histoire dans une délicate installation qui mêle vidéo, maquettes, objet, texte et sons comme les échos de la mémoire fragmentée d'un lourd secret de famille.
Des souvenirs que Valérie Mréjen a captés dans sa série de portraits où elle a demandé à ses amis et connaissances de partager un souvenir ancien ou récent, anodin ou grave qui les a marqués.
Dans Blackjack, Danielle Arbid dresse le portrait d'une partie de sa famille par la voix de sa cousine qui a connu, grâce au casino qui appartenait à son père, l'insouciance bling bling de la société huppée de Beyrouth dans les années 1980 et l'inévitable descente aux enfers dans l'addiction au jeu.
Il n'y a pas que des vidéos, dans cette exposition. Avec ses imposantes Chaises à bascule jumelles, Elodie Antoine berce notre regard des inextricables liens familiaux, un face-à-face obligé et consenti.
Agathe Bokanowski a réalisé in situ, à même les murs, de grands dessins inspirés par une photo de vacances. Le dessin comme filtre de la mémoire.
Family Matters
Fondation Boghossian
avenue Franklin-Roosevelt, 67
1050 Bruxelles
Jusqu'au 28 mai
Du mardi au dimanche de 11 à 18h
www.boghossianfoundation.be
Le 14 avril, Ariane Loze proposera sa performance Le Banquet.
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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