Françoise Pétrovitch, au Pays des Merveilles

Muriel de Crayencour
29 mai 2018

Entrez dans l'exposition A Vif de Françoise Pétrovitch au Centre de la Gravure et de l'Image imprimée à La Louvière comme si vous entriez au plus profond des pensées intimes de cette artiste singulière. Voyage doux, secouant, inquiétant, tremblant. 

Pour vous accueillir, une large série de sérigraphies rouge vif. Rougir, une soixantaine d'images agencées sur le mur comme un kaléidoscope d'émotions : silhouettes enfantines, animaux, jeunes filles, corps fragmentés disent le monde de Pétrovitch, celui du ressenti, mouvant, fluctuant, incertain. Le réel y est toujours au bord du gouffre, rien n'est sûr, tout se transforme, glisse imperceptiblement dans une autre dimension. Derrière ce mur de sérigraphies, à la fois formellement très esthétiques et troublantes, une installation vidéo hypnotique, Le loup et le loup, vous transporte dans le trouble et l'angoisse. Toujours ce rouge, sang frais qui coule sur l'écran comme un cri. Toujours cette joliesse trompeuse des formes.

Le voyage qu'offre Françoise Pétrovitch à La Louvière est du même ordre que celui d'Alice qui file au Pays des Merveilles. D'ailleurs, dans l'espace suivant, les Merveilles sont devenues géantes : de grandes silhouettes sont dessinées directement sur le mur : le corps couché d'une toute jeune fille en justaucorps envahit tout un pan de mur, sans doute endormie mais peut-être évanouie ou même blessée, se vidant lentement de son sang. Qui peut le savoir ? Ainsi, touchant avec infiniment de délicatesse aux ressentis intimes - les siens, les nôtres -, l'artiste offre à notre regard une émotion indicible et universelle, celle qui nous occupe tous, au plus profond de notre cœur : une joie, un trouble, de sourds souvenirs d'enfance, une noirceur, du non-dit qui emplit l'espace. Ainsi que toutes sortes d'autres sentiments, éveillés par l'œuvre regardée,  différents pour chaque visiteur.

Au premier étage, on déambule dans différentes chambres, chacune aux murs d'une couleur choisie avec soin par l'artiste, et qui résonne avec les œuvres. On y voit aussi les très nombreux médiums utilisés par cette artiste française que Catherine de Braekeleer, directrice du Centre de la Gravure, suit depuis 20 ans. Pétrovitch (1964) dessine, grave, peint, sculpte. Papier, crayon, sérigraphie, peinture, terre, cire perdue, bronze, céramique, édition. Dans une chambre au mur mauve presque noir, une série de peintures, Les Nocturnes. Dans une autre, des assiettes en papier rehaussées de dessins au trait. S'y déploie une belle brochette de personnages.

Plus loin un bronze impressionnant : un petit corps d'enfant est surmonté d'un immense masque d'animal, qui par sa taille avale presque l'entièreté de son buste. Un autre bronze, posé dans un coin, une silhouette de jeune fille se cachant le visage, entourée de gouttes de bronze, comme des larmes menaçantes. Plus loin encore, un travail plus ancien, datant des années 1990, sur des couvertures de livres, choisis pour leur titre.

Françoise Pétrovitch est aussi une amoureuse des livres et a produit de très nombreux livres d'artiste. Vues I à X est un coffret de 10 estampes réalisées à partir d'une litho de l'artiste : un gant, qui tient 10 photolithographies réalisées à partir de photos anciennes provenant des collections des Archives de la Ville et du CPAS de La Louvière. Un tissage délicat entre l'œuvre de l'artiste et l'histoire de la ville qui l'accueille le temps de l'exposition. Une petite exposition, A Feu, à Kéramis, ajoute un chapitre à cette histoire. On y voit les céramiques vernissées de l'artiste dont un Demi-mammouth, un Lapin qui n'a pas l'air de trop péter la forme, un gant perdu, ainsi qu'un buste de Peau d'âne, réalisé en résidence à Kéramis et qu'on a pu voir à Art Brussels. Des merveilles, donc.
 

Françoise Pétrovitch
A Vif
Centre de la Gravure et de l'Image imprimée
10 rue des Amours
7100 La Louvière
Jusqu'au 16 septembre
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
www.centredelagravure.be

A Feu
Keramis
1 place des Fours-Bouteilles
7100 La Louvière
Jusqu'au 16 septembre
Le mardi de 9h à 17h, du mercredi au dimanche de 10h à 18h
www.keramis.be

 

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.

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