A Gaasbeek, la foire aux vanités

Muriel de Crayencour
10 avril 2018

Pas très loin de Bruxelles, dans la campagne flamande, le Château de Gaasbeek est une belle surprise pour qui ne connait pas l'endroit. Au bout d'une longue allée piétonne, cet étonnant bâtiment est un ensemble de différents styles architecturaux, chaque époque ayant vu naître une nouvelle construction collée à la précédente sans aucune tentative d'unifier les éléments. En forme de demi-lune, le château se dresse fièrement sur une petite hauteur, la vue des terrasses sur la campagne est remarquable. Il accueille aujourd'hui Vanity Fair, une exposition de Thomas Lerooy qui a choisi d'être accompagné d'œuvres de Félicien Rops.

A Gaasbeek, un premier château fut édifié vers 1240 pour protéger Bruxelles et le duché de Brabant. Ce sont pourtant les Bruxellois qui détruisirent le château en 1388. Au début de 1500, la famille Horne construisit un château en briques sur les vestiges de la citadelle médiévale. En 1565, le Comte d’Egmont acquit le domaine de Gaasbeek comprenant le château et 17 villages. Au XIXe siècle il appartenait à la famille Arconati-Visconti. Il acquit sa forme romantique actuelle principalement durant la restauration entre 1887 et 1898 sous l’impulsion de la marquise Arconati-Visconti, épouse de Gianmartino, qui fit de Gaasbeek un lieu de rencontre culturelle entre artistes, intellectuels et gens de lettres. Le domaine est légué en 1923 à l'État Belge au décès de la marquise. Depuis 1980, il appartient à la Communauté flamande. C'est le second des deux musées des Beaux-Arts de la communauté, le premier étant le KMSK d'Anvers.  Des expositions mêlant art contemporain aux remarquables collections d'art ancien y sont régulièrement organisées.

Thomas Lerooy dresse son autoportrait cynique et romantique au travers de ses dessins et sculptures. Sa matière première sont les sculptures et gravures issues de l'histoire de l'art et particulièrement du monde antique. Emerge un univers qui plante beauté de l'art ancien et ironie contemporaine dans le même camp. Chacun peut s'y reconnaitre, puisque Lerooy fait appel à une iconographie universelle déjà inscrite dans nos gènes. La déambulation dans les salles du château nous mène à la rencontre de ses œuvres, installées au milieu des riches collections et des boiseries, fresques, tapisseries qui décorent le château. Et ça fonctionne très agréablement.

S'emparant sans frein d'une statue grecque, il la perce de trous et y fiche des dizaines de bouteilles de verres occupées par des langues de bronze. Boire ou ne pas boire, telle est sans doute la question. Pour Embrace, Lerooy tord deux autres sculptures antiques en un ouroboros - serpent se mordant la queue - qui fait que les deux visages se rencontrent. Quelle ironique manière de représenter l'amour entre deux personnes ! Dans diverses chambres tendues de tapisseries, ses dessins et collages sont du meilleur effet. Et ils dialoguent avec bonheur avec les gravure de Rops, qui aimait à illustrer l'érotisme et autres vices - ou considérés tels - de son époque.

Si Thomas Lerooy décline quelques vices de notre époque, voyons-y l'ironie et le second degré qu'il est de bon ton d'afficher en permanence - la puissance de la sincérité, ça fait plouc - ainsi que l'insatiable besoin de briller en société. La série de petits bronzes Léo et Paul : corps du Manneken Pis surmonté d'un crâne en bronze patiné doré, qu'on avait pu découvrir à la Brafa, devra plaire pour son aspect frontal. Nous n'y voyons pas la subtilité et la profondeur qu'on ressent dans d'autres de ses sculptures et dans ses dessins. Malgré tout, Félicien et Thomas entretiennent une bien agréable conversation, qu'il ne vous faut pas manquer, lors d'une escapade printanière. Allez-y !

 

Vanity Fair
Château de Gaasbeek
40 Kasteelstraat
1750 Gaasbeek (Lennik)
Jusqu’au 10 juin
Du mardi au dimanche de 10 à 18h
www.kasteelvangaasbeek.be

 

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.

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