Tout à la fois architecte, artiste, poète, professeur, théoricien, Gianni Pettena (1940, Italie) est un personnage incontournable de l'architecture radicale des années 1960. Pour la première fois en Belgique, son travail aux frontières poreuses est présenté dans une double exposition jusqu'à ce samedi. Une invitation à se frayer un chemin dans 50 années de recherches plastiques et théoriques à La Verrière ou dans la jungle de papier submergeant l'ISELP. A voir jusqu'à ce samedi 13 mars !
ISELP, Bruxelles, 2021. L'installation Paper/Midwestern Ocean originellement montée à Minneapolis en 1971, envahit l'espace d'exposition. Des bandes de papier dégoulinent du plafond et les spectateurs sont invités à se frayer un chemin dans cette jungle en découpant petit à petit dans la masse. La déambulation du visiteur fait l'architecture et lui donne du sens, un peu comme le nomade ou l'animal construit l'espace en se déplaçant dans la nature. Si l'expérience bouleverse les sens et joue sur nos imaginaires d'aventuriers, c'est aussi une formidable mise en forme de la pensée de Pettena : un renversement de l'activité architecturale qui permet de repenser les fondements mêmes de la discipline.
Amorcées dans les années 1960 à Florence, ces réflexions sur l'espace ont fait se regrouper plusieurs jeunes architectes qui partageaient les mêmes convictions. Appelé a posteriori architecture radicale, ce courant contestataire entendait s'éloigner de l'impératif de construction et des traditions formalistes/fonctionnalistes. Aux côtés de Superstudio (dont nous parlions ici), Archizoom, ou encore UFO, Gianni Pettena explore d'autres manières de faire l'espace, d'habiter le monde, la vie. Inscrite dans une dimension temporelle, cette architecture s'expérimente sous différentes formes et échelles : un dessin, un collage, une installation, une performance. Il s'agit d'éprouver les frontières entre art, architecture et société.
Salt Lake City, Utah, 1972. Dans un décor de western, une boule de végétation (ou tumbleweed) roule doucement vers son destin. Poussée par le vent, elle se retrouve capturée dans une tour-échafaudage installée par l'Italien. Sorte de building naturalisé, cette structure éphémère et hybride met en lumière le « travail du territoire ».
Pettena partage des intérêts communs avec ce groupe d'architectes radicaux, tout en se tenant en marge. Il se nomme lui-même « l'espion » : un pied à l'intérieur, un pied dehors. Lui, tient à se confronter au contexte, naturel ou urbain. Influencé par l'Arte Povera, le Land Art, mais aussi par les contrecultures qui avaient l'écologie comme enjeu majeur, il questionne l'architecture, le paysage, la nature et les relations qu'ils entretiennent. À la suite d'un voyage dans le désert, il théorise les architectures non-conscientes et soutient que la « nature est le lieu où la production architecturale est la plus élevée ». Une autre architecture est donc possible et elle ne reposerait pas sur la domination de l'environnement naturel. Son travail est basé sur ce renversement du rapport de force. Il nous rappelle aussi que la nature est toujours gagnante sur le temps long (essayez, comme lui, de donner une conférence sur l'architecture les pieds dans l'eau à marée montante).
À La Verrière, il faut traverser le magasin de luxe Hermès, drôle de transition pour arriver à l'exposition qui mixe documents d'archives et approches plus sensuelles. Des installations sont en effet visibles, comme ce mur d'argile empreint de traces de mains qui disparaissent petit à petit lorsqu'il sèche, ou cet entrebâillement dans la cloison qui lui permet de « respirer ». Dans les performances archivées, on retient surtout les interventions sur les maisons américaines, recouvertes de terre ou de glace, devenues inhabitables. Durant la performance, ces bâtiments subissent de multiples métamorphoses qui font disparaître pour un temps leur forme et leurs fonctionnalités. Et puis, comme une mue de serpent, la matière s'évacue. Ils accèdent à un nouveau statut, puisqu'ils ont su actualiser le regard en l'invitant à une réflexion critique. Ces altérations permettent aussi de remettre en question l'immanence architecturale face aux phénomènes environnementaux, une sorte de revanche de la nature. C'est suite à ce type d'action qu'il se nommera anarchitecte, à l'instar de Gordon Matta-Clark mais d'une toute autre façon.
Une exposition qui vient conclure le cycle Matters of Concern | Matières à panser, initié en 2019 par le commissaire d'exposition Guillaume Désanges qui souhaitait se saisir de la question écologique. Non pas frontalement, mais en exposant des pratiques alternatives, avec une attention toute particulière à la matière. Une volonté de reconsidérer notre rapport au vivant, aux objets, aux éléments. On voit facilement comment Gianni Pettena s'insère dans ce cycle, puisqu'il y a bien quelque chose d'écologique dans ses manières de faire ou de ne pas faire. Le terme écologie lui-même provient étymologiquement du grec signifiant « la science de l'habitat ». C'est bien cette notion qui est au cœur de la pratique de l'anarchitecte depuis ses débuts et qui, des années plus tard, reste terriblement d'actualité.
Gianni Pettena
Forgiven by Nature
Iselp
31 Boulevard de Waterloo
1000 Bruxelles
Jusqu'au 13 mars
Du mardi au samedi de 11h à 18h
www.iselp.be
La Verrière
Fondation d'entreprise Hermès
50 Boulevard de Waterloo
1000 Bruxelles
Du mardi au samedi de 12 à 18h
https://www.fondationdentreprisehermes.org/
Journaliste
Formée à l’anthropologie à l’Université libre de Bruxelles, elle s’intéresse à l’humain. L’aborder via l’art alimente sa propre compréhension. Elle aime particulièrement écrire sur les convergences que ces deux disciplines peuvent entretenir.
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