Les mondes oniriques de Ginny Casey et Nel Aerts

Caroline Roure
26 janvier 2023

La galerie Nino Mier, située à deux pas de la place du Sablon, présente deux femmes artistes : Ginny Casey et Nel Aerts. Toutes deux signent des expositions associant peintures et dessins et qui dévoilent leur imaginaire fantastique. Ginny Casey explore l’inquiétante étrangeté de la sphère domestique, tandis que Nel Aerts nous immerge dans sa psyché intérieure à travers l’émanation de la figure monstrueuse du cyclope. Les expositions Bewitched de Ginny Casey et Coclopie de Nel Aerts sont à découvrir jusqu’au 17 février.

Ginny Casey, née en 1981 à Niskayuna, dans l’État de New York, nous plonge dans ses peurs et dans son inconscient en mettant en scène des intérieurs étranges dans lesquels des objets s’animent dans l’espace et prennent des formes grotesques. Des ciseaux, des vases, des plantes, des tables, des pelles, des bougies se déforment et prennent des dimensions terrifiantes évoquant des mains crochues de sorcière.

Ginny Casey développe un univers freudien inspiré de la psychanalyse. Ses peintures sont parsemées de symboles à analyser et composées à partir d’une grammaire faite de trappes, échelles, portes et autres fenêtres. Symboliquement, l’échelle est une représentation du lien entre la terre et le ciel mais spirituellement, elle incarne les aspirations à s’élever, à franchir les obstacles de la vie. La fenêtre, quant à elle, exprime le lien entre l’intérieur et l’extérieur et notre besoin de trouver désespérément une issue à une situation. Les intérieurs de Ginny Casey semblent nous dévoiler son besoin irréductible d’échapper à un quotidien angoissant et cauchemardesque. On pourrait y voir une critique féministe exprimant l’asservissement des femmes aux contraintes domestiques et c’est peut-être une façon, pour l’artiste, de critiquer et de déconstruire l’organisation genrée des espaces.


Pensées parasites

Les compositions de cette artiste ne sont pas seulement habitées d’objets inertes, mais aussi de créatures disproportionnées telles que des insectes géants. Selon Sigmund Freud, les insectes témoignent des idées sombres, de pensées parasites dont il est difficile de se défaire. Ils évoquent aussi un moment perturbant dans la vie. La figure du serpent revient aussi comme un leitmotiv. Le serpent, assimilé à une forme phallique, est le symbole de l’énergie sexuelle et peut représenter des désirs refoulés qui émergent. Le travail artistique de Ginny Casey apparaît comme une fenêtre ouverte sur ses états intérieurs. Ses peintures sont les fragments d’un puzzle qui, une fois assemblés, révèlent les profondeurs de son âme. Ses œuvres, entre surréalisme et symbolisme, ne peuvent nous laisser indifférents. Elles viennent titiller notre imaginaire en laissant libre cours à nos interprétations personnelles. Ginny Casey invite le spectateur à élucider le mystère des trois fameuses instances de notre psychisme : le Ça, le Moi et le Surmoi. Par un effet miroir, elle nous invite à voyager dans la partie la plus impénétrable de notre personnalité.


Corps maladroit

Nel Aerts, née en 1987 à Anvers, est une artiste pluridisciplinaire dont l’œuvre s’étend de la peinture au dessin, en passant par l’installation. Le travail de l’artiste est traversé par différentes thématiques dont celles de l’identité, de la sexualité, du camouflage et du psychisme. Dans cette exposition, elle explore la figure du cyclope. Nel Aerts emprunte l’apparence du cyclope, son alter ego tout puissant. Elle cherche ainsi à incarner ces géants n’ayant qu’un œil au milieu du front, auxquels on doit l’invention de la foudre et qui ont fait de Zeus le maître de l’univers. Derrière cette créature mythique et impressionnante se cache toutefois la vulnérabilité de l’artiste qui prend la forme d’un personnage affaibli, amorphe, recroquevillé et enfermé dans l’orbite du cyclope. Ce corps maladroit, confiné dans l’espace intérieur de l’œil du monstre tente de se dépêtrer d’un espace physique, mais surtout mental. Les peintures de l’artiste semblent témoigner d’une représentation de son enfermement intérieur. À l’instar de Ginny Casey, le travail artistique de Nel Aerts nous invite à voyager dans sa psyché intérieure.

Ces deux expositions font preuve d’une grande cohérence d’ensemble et nous offrent un voyage dans des univers étrangement familiers en nous transportant dans les mondes oniriques de ces deux artistes dont le langage plastique est parfaitement maîtrisé. Il s’agit avant tout d’une invitation, par le jeu notamment des symboles, à analyser nos propres rêves, les images envoyées par notre cerveau et pourquoi pas à explorer les abysses de notre inconscient avec ses désirs inavouables, une invitation à ne pas manquer donc !
 

BeWitched/ Coclopie
Nino Mier
25 rue Ernest Allard/41 rue Ernest Allard
1000 Bruxelles
Jusqu’au 17 février
Du jeudi au samedi de 10h à 18h

https://www.miergallery.com/

 

Caroline Roure

Journaliste