L’émerveillement de Graciela Iturbide

Oriane Thomasson
14 mars 2023

À la Fondation A Stichting, l’exposition Lignes d’ombre rassemble un grand nombre d’images de Graciela Iturbide, issues notamment de séries mythiques qui ont fait sa renommée internationale comme Juchitán, ou encore Naturata, réalisée au jardin botanique d’Oaxaca. À ce jour, il s’agit de l’exposition la plus complète de son œuvre en Belgique.  

La photographe mexicaine Graciela Iturbide, figure emblématique de la photographie latino-américaine, a débuté comme photographe dans les années 1970. Outre le Mexique, elle a voyagé à travers de nombreux pays, tel le Venezuela, l’Inde, le Panama, ou l’Equateur, s’intéressant aux relations entre les hommes et leur environnement, et aux imbrications culturelles, philosophiques et individuelles des sociétés humaines, dont elle a parfois partagé le quotidien. Par la photographie, qu’elle conçoit comme un rituel, Graciela Iturbide documente les réalités parfois contrastée de son pays et de la communauté latino-américaine, entre traditions et contemporanéités.  


Des animaux, des plantes et des hommes

Dans la salle principale de la Fondation A Stichting, la belle sobriété de l’accrochage met parfaitement en valeur les images aux contrastes forts de Graciela Iturbide, dont la densité des noirs amplifie l’atmosphère dramatique. Dans les photographies de plantes de la célèbre série Naturata, réalisée au jardin botanique d’Oaxaca, l’usage intense de la lumière sculpte les volumes, définit la matière et détaille les textures. L’écrasante puissance de cette lumière, de fortes contre-plongées, et les ombres portées par les cactus intensifient leur présence, les humanisant pour les transformer en personnages. Emmaillotés, soutenus par des fils et protégés par des filets, ceux-ci semblent des patients malades d’un hôpital, soignés avec le plus grand soin. L'œil subjectif de l'artiste tisse ainsi un maillage étroit et complexe entre l'homme et son environnement, où les rôles sont redistribués. 

Cette porosité entre nature et humanité se retrouve avec sensibilité tout au long de l’œuvre de Graciela Iturbide, notamment à travers son intérêt profond pour les animaux et les liens spirituels qu’ils entretiennent avec les rites humains. La photographe saisit avec merveille l’étrangeté qui se dégage de ces pratiques rituelles où l’animal recouvre souvent une dimension symbolique voire mythologique. Avec la mystérieuse photographie d’une femme surgie de l’ombre, tenant une tête de taureau qui vient prendre la place de la sienne, la photographie saisit jusque dans les gestes du quotidien cette dimension mythique qu’entretiennent les hommes avec les animaux. Extirper l’extraordinaire de sa dimension ordinaire révèle la capacité de Graciela Iturbide à user de la photographie comme moyen d’interpréter le réel, et de mythifier le quotidien par l’imaginaire. 


37 Calle Heliotropo 

Si son approche est documentaire, le réalisme qu’elle restitue est donc fortement empreint de magie. La photographe utilise l’émerveillement suscité par la surprise dont elle est parfois saisie pour guider sa pratique photographique, imaginer et rêver ses propres images. L’émerveillement est ainsi pour l’artiste un accès privilégié à l’intériorité des choses, des êtres, de la nature, et lui permet de les lier intimement les uns aux autres.  Pour conclure l’exposition, une mosaïque de photographies couleur, prises par le photographe mexicain Pablo López Luz, sont des vues de l’atelier de Graciela Iturbide situé au 37 Calle (rue) Heliotropo à Mexico. Construit par son fils, l’architecte Mauricio Rocha, l’édifice, fait entièrement de briques, a été conçu pour sa mère comme un lieu propice au recueillement et à la contemplation.  

 

Graciela Iturbide 
Lignes d’ombre  
Fondation A Stichting 
304 avenue Van Volxem 
1190 Bruxelles 
Jusqu'au 2 avril 
Du mercredi au dimanche de 13h à 18h  
fondationastichting.com 

Oriane Thomasson

Journaliste

Diplômée de l’ERG en Arts Visuels, photographe mais pas seulement, Oriane Thomasson s’intéresse à l’art dans tous ses états, avec une prédilection pour les arts non-européen, le dessin, et la peinture. Passionnée de littérature, l’histoire naturelle et les voyages sont pour elle à la fois une source d’inspiration, et de fascination. Après avoir obtenu l’agrégation en arts plastique, écrire pour Mu in the city sur les expositions qu’elle voit lui permet de partager un regard sur l’art, et son enthousiasme pour les artistes.

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