Habitat fantôme

Gilles Bechet
03 février 2022

Visé 8, c'est une maison de Watermael-Boitsfort remplie pour une semaine des créations minimalistes, poétiques et éphémères de huit artistes. Courez-y jusqu'à dimanche !

Dans une maison vide, les fantômes sont partout et nulle part. Dans l'usure d'un escalier, dans une trace sur un mur, dans le discret grincement d'une porte de placard ou dans la fraîcheur ouatée qui tapisse les briques de la cave. Avant que la maison ne soit démolie ou rénovée, ses pièces vides sont pleines d'une vie qui s'échappe comme l'air d'un ballon qu'on pince du bout des doigts pour l'entendre filer. Il était une fois une maison étroite avec vue sur un pont du chemin de fer. Tous ses occupants l'ont désertée, emmenant avec eux tout ce qu'elle contenait. Alice De Visscher, artiste intéressée par la performance et la poésie minimaliste, a invité huit artistes à investir ces espaces vides pour créer avec elle des œuvres éphémères in situ.

Sylvie Pichrist, An Debie, Eglantine Chaumont, Maria João Flôxo et Hernán Arambarri, Béatrice Didier, Florence Cats et Anne-Sophie de Visscher ont chacune reçu une clé et se sont retrouvées dans la maison vide traversée par les rayons du matin. Elles ont choisi une pièce, un lieu, des murs, avec lesquels entrer en résonance et en création. Six semaines, elles ont travaillé en sentant l'espace et en lisant les traces pour y déposer d'autres traces, d'autres fictions de matériaux. Des combles à la cave, la maison s'est remplie de leurs installations et interventions ici très présentes, là-bas discrètes. Sur une table dans la cave, Sylvie Pichrist a disposé ses trouvailles d'une archéologie des débris, un ouvrage tendu de sédiments de poussière pour broder les perles du banal. Dans une autre pièce plongée dans l'obscurité, on découvre, à la lueur de la bougie, les délicates enluminures de Florence Cats sur les tavelures de l'âge et de l'humidité qui fleurissent dans les ténèbres préservées. Dans une pièce du rez-de-chaussée, face à la fenêtre qui donne sur la rue, Eglantine Chaumont a posé des dalles d'argile sur le sol traversées d'un sillon, comme le chemin d'une échappée vers l'ailleurs.

A l'étage, Sylvie Pichrist a dompté une tenture qui se tend dans la pièce comme un animal marin fatigué. Sur la cheminée, Béatrice Didier a composé une fresque délicate avec des débris de plâtras métamorphosés en éclats précieux excavés du pays des rêves. Sur une fenêtre de la cage d'escalier, des photos d'An Debie, qui a capturé des rayons de soleil pour les rendre à la lumière sur la transparence d'une vitre. Dans une chambre d'ado, Florence Cats a réinventé les traces d'une vie en coup de crayons, post-it et fragments de miroir brisé. Par un trou défoncé dans le mur qui donne sur la salle de bain, on peut entendre des extraits du Journal de Virgina Woolf ou Voyage Voyage chantée en roumain, une ritournelle surgie d'un passé enfoui entre deux plaques de Giproc poussiéreux. Qu'est-ce qu'une chambre d'ado sinon un espace de confinement dont on rêve de sortir ? Sous les combles, Alice de Visscher a dressé le linoléum qui dessine un paysage intérieur comme un tremblement de sol figé pour l'éternité. Anne-Sophie de Visscher a rassemblé dans une vitrine une collection de cailloux abandonnée dans le jardin. Elle leur a donné un écho en papier découpé pour composer une partition de pleins et de vides. De pièce en pièce, les huit artistes dressent un éloge de la fragilité et de l'imagination. Avec presque rien et beaucoup de peu.

 

Visé 8
8 avenue de Visé
1170 Watermael Boitsfort
Jusqu'au 6 février
Tous les jours de 14h à 18h
Performances et Drink le 6 février à 16h

Gilles Bechet

Rédacteur en chef

Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT