Jusqu’au 19 décembre, Argos, spécialisé dans la création artistique audiovisuelle, consacre le dernier étage de son espace rue du Chantier à l’exposition You left me my lips, and they shape words, even in silence, de Hamza Halloubi.
Cette exposition solo qui réunit trois projections dans une même salle présente le travail récent de l’artiste et plonge le visiteur dans son univers au moyen d’un accrochage et d’une scénographie qui deviennent eux-mêmes une œuvre en soi.
Hamza Halloubi est un artiste bruxellois, né en 1982 à Tanger et vivant depuis plusieurs années à Bruxelles où il travaille. Ses origines marocaines irriguent son œuvre et nourrissent son besoin de rendre visible, à travers la peinture et la vidéo, ceux que l’on n’entend pas, en leur donnant une image tout en préservant un environnement silencieux qui interroge les modes de représentation.
Ainsi, on rencontre dans Writing Back (2019-2021) le personnage de Cherifa, une femme marocaine ayant vécu à Tanger dans les années 1960, où elle fréquenta le milieu intellectuel et notamment Jane Bowles, l’épouse de l’écrivain et compositeur Paul Bowles, dont elle fut l’amante. Halloubi s’attache à déconstruire l’image fantasmée et exotique assignée à Cherifa par l’élite de l’époque, qui l’accuse alors de nuire à Jane et la méprise pour son illettrisme et pour son statut de femme arabe. Cette projection tente ainsi de proposer une autre version de l’histoire en mettant Cherifa au centre, à contrepied du point de vue orientaliste imprégné de misogynie et du racisme qui dominait alors et dont elle fut victime.
Cette recherche autour de l’écriture et de la réécriture de l’histoire se poursuit dans la vidéo Messing Encounters (2020-2021) qui aborde la question coloniale à travers un échange entre une immigrée congolaise en Belgique et une sculpture du Congo exposée dans un musée belge. La parole des « perdants » de l’histoire peut alors s’exprimer librement dans ce dialogue qui met au centre les questions d’identité, de culture et de réappropriation.
Le lien de l’artiste avec la Belgique et plus particulièrement avec Bruxelles s’exprime également dans de courtes vidéos de passants filmés dans les rues de la ville et renvoyant aux notions d’espace public, d’anonymat, de mixité urbaine... Ces œuvres sont mises en relation avec des peintures abstraites représentant les différents thèmes et enjeux traversés dans l’exposition et tissant un fil conducteur entre eux.
Le rapport entre l’Occident et le monde arabe est enfin le sujet de Bégaiements (2020-2021), qui alterne des images de foules se mobilisant contre les régimes politiques de leurs pays lors du printemps arabe et des symboles de l’art contemporain. Halloubi dresse ainsi une critique de l’échelle de valeurs de nos sociétés en confrontant deux mondes que tout oppose dans une même vidéo.
Ces projections se côtoient dans une vaste pièce peuplée de colonnes de béton, dans une demi-pénombre où l’alternance des couleurs de chaque vidéo, la géométrie des supports de projection et le choix d’accrochage donnent le sentiment de déambuler dans un labyrinthe de paroles, d’histoires et de visages où le propos prend tout son sens.
A travers des œuvres poétiques et esthétiques qui se répondent de manière cohérente et s’enrichissent les unes les autres, Hamza Halloubi remet en cause les normes, valeurs et modes de représentation dominants, sans pathos mais sans indulgence non plus, et sans céder à la tentation de l’invective ou de la démagogie.
Hamza Halloubi
You left me my lips, and they shape words, even in silence
ARGOS centre for audiovisual arts
13 rue du Chantier
1000 Bruxelles
Jusqu'au 19 décembre
Du jeudi au dimanche 12h à 19h
Fermé le lundi et mercredi
www.argosarts.org
Journaliste
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