Au Musée de Flandre à Cassel, les œuvres de Hans Op de Beeck font écho à celles des maîtres flamands des 16e et 17e siècles en explorant le temps immobile qui résonne entre rêve et réalité. Jusqu'au 3 septembre.
Les sculptures de Hans Op de Beeck sont comme des vestiges silencieux de temps lointains. La douceur du gris velouté dans lequel elles sont figées semble les extraire du réel dont elles sont pourtant si proches. C'était donc presque une évidence de les faire entrer en dialogue avec les collections du Musée de Flandre à Cassel. Entre l'artiste flamand d'aujourd'hui et les maîtres des XVIIe et XVIIIe siècles, les affinités ne manquent pas. La première est sans doute l'ancrage dans le quotidien, son attrait pour la nature morte et les vanités, ou plus récemment les cabinets de curiosités, sans oublier sa fascination pour les paysages, qu'il sublime dans ses monumentales aquarelles.
Cette exposition arrive au moment où le Musée de Cassel accueille pour quelques années une vingtaine d'œuvres de maîtres de la peinture flamande, parmi lesquels Jérôme Bosch, Jan I Brueghel et Peter Paul Rubens, prêtées par le Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, actuellement en rénovation.
Le parcours débute par deux magistrales aquarelles de paysage. Une marine et une forêt sous la neige. Comme dans les films en noir et blanc, l'absence de couleurs ôte une couche de réalité au profit d'une certaine mélancolie, que Op de Beeck accentue en gommant toute présence humaine. L'artiste confie qu'il a attendu 2009 avant de montrer ses aquarelles. « Je voulais être juste artistiquement. J'aime mixer les notions de préciosité et de banalité. Avec ce paysage, je voulais transcrire cette sensation qu'on peut avoir en remontant les volets le matin et qu'on regarde un paysage couvert de la neige tombée pendant la nuit. »
Avec les quatre photographies qu'il montre dans la salle dédiée aux solennels portraits de pouvoir de Philippe Le Bon ou des archiducs Albert et Isabelle, Op de Beeck évoque au contraire une sensation de calme et d'apaisement. Les quatre portraits sont extraits d'une série réalisée en 2003 à New York, où il avait demandé aux enfants d'une école de fermer les yeux et d'imaginer qu'ils étaient quelqu'un d'autre, dans un lieu différent.
Dans ses sculptures aussi, il représente souvent des personnages aux yeux fermés, endormis ou assoupis, comme pour donner plus de force à leur monde intérieur. La vanité qu'il nous propose, au regard de natures mortes du 17e, nous déstabilise par sa taille démesurée qui évoque tant un décor de théâtre qu'un paysage de rêve où proportions et perspectives se diluent. Même s'il associe un livre, une coupe de vin et une grappe de raisins qui évoquent le plaisir de la vie à un crâne qui rappelle la brièveté de notre passage sur terre, l'artiste confesse qu'il n'est pas « fan » des symboles. « Comme mes sculptures sont en gris monochrome et que je donne de l'importance à certains objets, on pense souvent que mon travail est morbide, alors qu'au contraire j'adore et je célèbre la vie. » La célébration de la vie, il faut peut-être la rechercher dans ces portraits simples et paisibles de trois poules ou d'un chien endormi.
Dans la salle dédiée au carnaval, Hans Op de Beeck nous montre une sculpture d'une danseuse du carnaval de Rio, avec son costume de plumes et paillettes qui prend un moment de pose pour tirer sur sa cigarette. Par cette œuvre d'une grande empathie et d'une grande douceur, l'artiste montre qu'il est tout sauf quelqu'un de morbide. En choisissant ce moment « off » et sa danseuse aux yeux fermés, on sent avec elle son corps épuisé par le rythme de la samba et par le poids de sa coiffure et les pieds endoloris par ses hauts talons. Mais on sent aussi qu'ensuite, elle repartira de plus belle pour partager exubérance et joie avec les milliers de gens qui l'attendent sur son passage. Hans Op de Beeck est aussi un maître de l'ironie. Face à une toile monumentale qui représente les Castellois pliant l'échine devant la puissante armée du duc de Bourgogne Philippe Le Bon, Op de Beeck nous présente un énigmatique cavalier errant, qui ne revendique rien, n'exige rien. Un singe perché sur son épaule, torse nu, il est habillé d'un jeans, et autour de sa selle pendent des grappes de colifichets, objets dérisoires qui constituent sa seule richesse. Contrairement aux cavaliers de propagande, il n'a pas le regard conquérant vers l'avant mais tourne la tête pour regarder derrière lui, comme pour contempler une dernière fois le monde qu'il s'apprête à quitter.
C'est dans la dernière salle que se révèle l'œuvre inédite que l'artiste a créée spécialement pour l'exposition. On est dans la Chambre des merveilles, qui rappelle les Wunderkamers qui rassemblaient merveilles et prodiges façonnés par la nature ou par les mains de l'homme. Dans sa vitrine, Op de Beeck a rassemblé une sphère astronomique, un bougeoir, des coraux, un chien, deux colibris, une libellule et un jeune garçon qui regarde dans ses mains jointes une poignée de mûres fraîchement cueillies, avec lesquelles l'artiste évoque un souvenir d'enfance.
Pour compléter le parcours, il ne faut surtout pas rater la magnifique video Staging Silence. Un merveilleux théâtre d'illusions où de mystérieuses paires de mains, venues des cintres, manipulent des paysages et des intérieurs qui se font et se défont dans une poétique métamorphose.
Hans Op de Beeck
Silence et résonance
Musée de Flandre
Cassel
Jusqu'au 03 septembre
Du mardi au vendredi de 10h à 12h30 et de 14h à 18h
Samedi et dimanche de 10h à 18h
www.museedeflandre.fr
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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