En 2014, un documentaire présenté en avant-première revient sur l’histoire des collectionneurs belges Herman et Nicole Daled et l’acquisition par le MOMA, en 2011, de l’essentiel de leur collection, soit plus de 200 œuvres de l’art conceptuel américain et européen entre 1966 et 1978. Retour sur ce moment en hommage à Herman Daled, qui vient de nous quitter.
Salle comble jeudi passé à Bozar. Toutes les têtes du monde de l’art étaient présentes : artistes, collectionneurs, directeurs de musées et de centres d’art, curateurs, journalistes ont fait honneur au film La collection qui n’existait pas, du jeune réalisateur Joachim Olender. Nous y suivons Herman Daled, médecin radiologue aujourd’hui retraité, qui revient sur les lieux désormais mythiques de l’histoire de sa collection. Avenue Messidor, à Uccle, là où le couple vivait à l’époque et où "tous les soirs, quand je rentrais du travail, Nicole et moi accueillions de nombreux artistes dont celui qui devint un ami, Marcel Broodthaers. A l’époque, les vols low cost qui venaient des Etats-Unis passaient par Bruxelles. Broodthaers accueillait ses amis artistes américains chez lui et nous les amenait. Il leur expliquait : je sais où passer la soirée ce soir. On y mange, on peut boire, fumer et en plus il achète."
Le film débute par la visite à Venise, durant la Biennale 2013, de l’exposition When attitude becomes form, réédition de l’exposition éponyme qui eut lieu à Berne en 1969. "Cette exposition fut comme une bombe, raconte Daled qu'on voit traverser les salles du palais vénitien occupé par la Fondation Prada. Il faut s’imaginer à l’époque !" Dans une scène suivante, le collectionneur, accompagné de Dirk Snauwaerts (directeur du Wiels), passe rue de la Pépinière à Bruxelles, là où Broodthaers habitait. Mais aussi à New York...
Une scène d’anthologie est celle où on le voit avec son ami Chris Dercon, tous deux installés dans des transats dans ce qui semble être un sous-sol, en train de visionner et de commenter un film. "C’est Chris Dercon qui a insisté pour que je montre ma collection, explique Daled en introduction du film. Nous l’avons montrée à Munich en 2010, sans savoir qu’elle irait ensuite directement au MoMa." La suite du documentaire est passionnante. On y découvre un homme qui n’exposait jamais (jusqu’en 2010) les œuvres qu’il achetait. Qui ne les accrochait pas aux murs de sa maison. Qui est toujours resté très discret à propos de cette série d'œuvres. Ce portrait porte le titre La collection qui n’existait pas, titre proposé par Daniel Buren. Car, jamais montrée, elle fut aussi niée par les responsables d’institutions belges quand Daled chercha à la donner à l’un ou l’autre musée. Le film, une réussite, sera sans doute montré au Wiels et à Flagey dans les semaines qui viennent. A ne pas manquer.
1966-1978
"Ces artistes étaient en train d’inventer quelque chose de tout à fait nouveau et c’est ça qui me fascinait. Ils avaient toujours quelque chose dans leur poche et je leur achetais. Je me suis attaché aux œuvres de connaissance, plutôt qu'aux œuvres de jouissance", raconte Daled. Pourtant, il se défend énergiquement d’être un collectionneur. "Quand quelqu’un possède beaucoup de livres, on ne le traite pas de collectionneur. Dès qu’il s’agit d’art, on devient collectionneur. J’étais solidaire politiquement avec ces artistes. C’est ça qui m’intéressait. Mon seul grand mérite a été de m’être montré disponible."
La collection Daled comprenait 800 à 900 œuvres. Sa première œuvre d’art conceptuel, Daled l’achète le 4 novembre 1966 à la galerie Cogeime à Bruxelles. "Cette œuvre, La robe de Maria, je l’ai achetée parce que c’était la négation même de l’œuvre d’art traditionnelle : une robe sur un cintre et quelques coquilles d’œufs. J’étais persuadé que l’œuvre serait mangée par les mites." Nicole Daled-Verstraeten raconte : "Nous n’avons jamais rien enregistré ni photographié. Broodthaers, Toroni, Jacques Charlier, John Wilson, Daniel Buren venaient dîner." Aujourd’hui, Herman Daled vit dans la maison Wolfers, sublime bâtiment classé de Van de Velde, à Uccle. Espaces structurés, quelques meubles, murs pelés et… nus. Herman Daled n’aime pas exposer sa collection. "Est-ce qu’un amateur de musique écoute tous ses disques à la fois, dans une sorte de cacophonie ? Non. De temps en temps, je sors une œuvre, je la regarde, elle me questionne, c’est comme de l’air frais, puis je la range. Il n’y a aucune raison qu’une œuvre reste accrochée. Tous les plaisirs sont éphémères. Aujourd’hui, les collections sont revenues à l’étalage intempestif. Si on donne à une œuvre d’art le rôle de décoration permanente, on la tue, elle devient muette."
Daniel Buren raconte : "Daled a été important, curieux, en phase avec ce moment, en 1969. Il fallait inventer une nouvelle manière de collectionner. Ce qu’il a fait… Lorsqu’une première exposition d’art conceptuel fut organisée, on y a rangé tout ce qu’on ne savait ranger ailleurs. Donc, tout de suite, il y a eu cette ambiguïté. Et cette question essentielle sur l’objet et sa fonction." Christophe Cherix, curateur au MoMa : "Une collection raconte une histoire. Cette collection-ci s’est attachée à des œuvres difficiles donc rares. Elles n’étaient pas fabriquées pour être vendues. Il n’y avait pas de marché pour elles."
Les conséquences de l'exposition de Munich
"Longtemps, j’ai accumulé sans même savoir exactement ce que je possédais. Jusqu’au jour où un vieil ami, Chris Dercon, m’a proposé de monter une expo. Il était alors directeur de la Haus der Kunst à Munich. Il est aujourd’hui à la tête de la Tate Modern à Londres. Il est venu chez moi avec toute une équipe pour faire l’inventaire de ce qui se trouvait dans ma collection. Ils sont restés huit semaines et ont réalisé un travail remarquable. Ils ont finalement décidé de monter une exposition avec les acquisitions de 1966 à 1978. Lors de l’exposition à Munich, Joost Declercq du Musée D’Hondt Dhaenens, et Dirk Snauwaert, directeur du Wiels, sont les seuls à être venus voir. Ni les Musées royaux des Beaux-Arts, ni le S.M.A.K., ni le MHKA, ni le Mac’s, ni le Musée d’Ostende ne s’y sont intéressés. Aujourd’hui, je leur en suis reconnaissant car je n’ai pas eu à faire le choix entre la Belgique et l’étranger. Le désintérêt des institutions belges m’a évité ce dilemme. Par contre, j’ai eu des propositions de Chicago, Mexico, Lisbonne…", explique Daled au journaliste du Soir (édition du 17 juin 2011). C'est Christopher Cherix, curateur au MoMa, qui, visitant l'exposition à Munich, proposa l'achat.
Michel Draguet (musée des Beaux-Arts) n'avait-il envisagé un moment un musée Broodthaers, dans le bâtiment de la Cour des comptes ? "Je n’ai jamais été contacté. Ce n’était pas une question de budget, car quand la volonté politique y est, tout est possible et on trouve l’argent. Il n’y a maintenant plus de musée d’Art moderne à Bruxelles ! C’est une lacune typiquement belge : plus de gouvernement, plus de musée, et cela marche cahin-caha, même bien, dit-on. Il est vrai qu’il est peut-être trop tard maintenant de vouloir rattraper la Tate ou le Pompidou, d’autant que les gens peuvent se déplacer rapidement." (La Libre, édition du 16 juin 2011)
Le MoMa
Visite de Daled à New York, où l'on voit sa silhouette fine parcourir les salles du MoMa. Il visite l’exposition sur sa collection. "Le rôle du collectionneur est éphémère. Les collections privées, ce sont des mémoires à court terme. Les musées, ce sont les mémoires à long terme." Laissons-lui le mot de la fin, devant une des œuvres exposées : "C’est le traquenard inévitable de la beauté…" On le sent ému pour la première fois. "Je ne suis pas un émotif, a-t-il pourtant dit en introduction du film. Je me suis toujours demandé ce qu’était l’art. Qu’est-ce qui fait la différence entre un peintre du dimanche et un grand peintre. Je n’ai pas la réponse."
La Collection qui n’existait pas
Film de Joachim Olender
Fondatrice
Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.
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