Deux places distantes qu’un partenariat thématique rapproche en ce moment même : Louvain (Leuven) et le CID au Grand-Hornu nous emmènent aux limites de l’univers avec les expositions Boum ! / Knal ! et Cosmos - Design d'ici et au-delà . Cette année en particulier, la cosmologie occupe les devants de la scène.
Ce 9 novembre 2021, Thomas Pesquet, phénomène hors-sol et véritable égérie des réseaux sociaux, nous est revenu d’une mission de six mois à bord de la Station spatiale internationale (ISS). La NASA avait pu compter pour la seconde fois sur le soutien de la société SpaceX dans le lancement d’un vol opérationnel habité. L’entreprise a par ailleurs pu envoyer des civils dans l’espace cette même année, en phase avec les objectifs de son dirigeant E. Musk. À terme, le père du petit X Æ A-XII n’ambitionnerait rien de moins qu’un destin multiplanétaire pour notre très digne espèce humaine. Le 20 juillet dernier, J. Bezos avait quant à lui pris la liberté de se propulser outre-atmosphère à l’aide de ses propres moyens, talonnant de neuf jours son émule, M. Richard Branson. M. Bezos, accompagné d’une poignée de happy fews, put saluer une humanité médusée depuis le sommet de New Shephard, fusée (réutilisable !) dont les contours suggestifs n’auraient point manqué de faire tousser Pierre Bourdieu.
Rendre l’infini et l’au-delà accessibles au particulier augmentera-t-il paradoxalement l’écart entre les élus fortunés et ceux qui devront se contenter d’expériences par procuration (là où un impératif de qualification frustrait auparavant petits et grands) ? Question obscurantiste sans doute. En tout cas, nos évergétiques multimilliardaires se veulent rassurants, alimentant au mieux un fantasme qui a des allures de rêve parmi les dérèglements climatiques, pandémies, crises humanitaires et disparités socioéconomiques…
L’engouement actuel pour la cosmologie, l’astrophysique ou l’astronomie devrait profiter à deux manifestations qui ont à cœur de rendre l’univers lisible à tout un chacun. La première est le fruit d’une collaboration entre la Ville et l’Université de Louvain (Leuven) : BOUM ! / KNAL ! se loge en différents endroits (Bibliothèque universitaire, Musée M, PARCUM), pour célébrer la théorie du big bang, et la connexion plus générale des arts aux sciences en matière d’astronomie. La référence à la Loi de Hubble-Lemaître a incité les deux universités catholiques et jumelles de Louvain à collaborer pour l’occasion (George Lemaître s’étant résolument attaché à Louvain-la-Neuve, ses fonds d’archives l’y avaient naturellement suivis)
À la Bibliothèque universitaire, vous suivez un itinéraire jalonné d’œuvres d’art modernes ou contemporaines et d’objets plus directement liés à la science. La surprise sera de ne remarquer aucune dissonance de taille entre, par exemple, un dessin de Kasimir Malevich et un graphe tracé par Lemaître. Certes, la correspondance de ce dernier avec notamment Einstein prend des allures de reliquaire entre une vidéo expérimentale tournée à l’observatoire indien de Gauribidanur (Atmosphere par R. Devasher), les peintures concentriques de G. Vantongerloo et, plus loin, une installation holographique de Conrad Shawcross. Mais comment nier l’influence du contexte scientifique dans l’histoire de l’art ? Design, futurisme, suprématisme et jusqu’aux arts numériques… Ne voyions-nous pas déjà la beauté des croquis de De Vinci ?
Hannah Redler Hawes et Thomas Hertog l’ont bien compris en préparant cette exposition qui nous invite toutefois plus loin, Au-delà du temps. Hertog (que nous retrouverons infra) était l’un des disciples de Stephen Hawking. Le grand physicien, auteur de la théorie des multivers, avait prolongé la question de Lemaître en se concentrant sur la question du temps (voir l’ouvrage Une brève histoire du temps). Nous retrouvons cette figure à travers le dernier tableau noir d’Hawking, couvert de dessins à teneur intime ou scientifique… Magritte, Brancusi, Grace Weir, Gavin Jantjes et bien d’autres créations modernes ou contemporaines sont à retrouver à la Bibliothèque universitaire.
À un jet de pierre, le Musée M fait assaut de munificence : 45 collections belges et étrangères ont fourni les moyens au Pr. Jan Van der Stock de présenter un vaste répertoire d’objets. Ceux-ci renvoient tous à la même idée : Imaginer l’univers. Dans une scénographie toute minimale, c’est la démesure qui s’offre au visiteur, d’un sarcophage égyptien arborant des représentations cosmogoniques (ce qui est extrêmement rare) aux éditions princeps de Copernic, Galilée, Kepler, Newton, placés derrière une lentille télescopique ayant appartenu au célèbre astronome Huygens. En passant par d'antiques traités d’astronomie, d’astrologie ou de médecine (quand le microcosme rejoint le macrocosme) qui suivent en enfilade des statues néolithiques, les penseurs d’Hamangia (Roumanie) ! Ce serait encore passer sous silence des tables astronomiques destinées à Charles Quint, d’allures si cartésiennes, voire quelque triptyque de tapisseries bruxelloises colossales montrant Atlas ou Hercule qui porte le monde, Jupiter et Junon entourant l’Univers…
Pour être plus complets, nous devons évoquer, dans une aile du musée M, l’exposition de Richard Long (°1945). Le célèbre land-artist britannique est exposé jusqu’au 20 mars. Deux créations (fresques) originales monumentales couronnent ses pièces, qu’un statisme invocatoire relie à leur environnement : leur matière est forcément première et il s’agit pour Long tant d'un médium que de la partie intégrante d’un absolu originel qui revendique, en un sens, le spectateur lui-même. Par ailleurs, à 30 minutes à pied, la vénérable abbaye norbertine de Parc (ou PARCUM) abrite l’exposition Un regard éternel : les questions existentielles qu’engendre la contemplation du cosmos y sont abordées au prisme de la théologie. Des œuvres visuelles anciennes et récentes se suivent en salles thématiques (vide, création, chute, infini, après-vie, paradis céleste). Le commentaire est confié au lyrisme talentueux de l’écrivaine néerlandaise Marjolijn van Heemstra (°1981).
Au Grand-Hornu, nous retrouvons à nouveau la figure de Thomas Hertog, associée cette fois à l’exposition Cosmos – Design d’ici et au-delà. Marie Pok, directrice du Centre de Design et d’Innovatio, s’est allié le physicien pour présenter plus de quarante designers (individus et collectifs) dont les créations se rapportent à l’univers ou à son étude. Soulignons que le design est une discipline qui se prête bien à l’exercice et entretient un lien particulier avec l’innovation. En son double sens de dessin et de dessein, l’art de la conception accompagne chaque pas de l’exploration scientifique et surtout technique. Comme toute forme suit la fonction (le mot est de Louis H. Sullivan), tout objet fonctionnel dégage aussi une impression esthétique, volontaire ou accidentelle. On peut dire que la courbe de la navette Discovery était belle, fine, élégante sans ignorer qu’elle répondait à un impératif instrumental. Il y a en outre l’intégration publique de tout un univers technoscientifique fantasmé qui amène une certaine esthétisation de la science : on ne comprend pas tel graphique évolutif, mais il est fort plaisant à regarder pour ce genre de raison, c'est-à-dire pour ce qu’il connote. Or, les designers s’entendent naturellement à exploiter l’attrait de l’instrument…
L’agencement de l’exposition a été confié au cabinet d’architecture libanais Ghaith et Jad. Le parcours est fluide, en aucun cas monodirectionnel, pédagogique sans infantiliser le public. Les œuvres elles-mêmes sont présentées comme des objets célestes, le socle étant éventuellement légèrement courbé, indiquant par-là une sensibilité à la force de pesanteur, aux contraintes de l’environnement. La richesse du contenu peut être illustré par l’appel aux sens : voici septante disques musicaux qui convertissent les données perçues par un radiotélescope (Alma Music Box par Whatever + Bassdrum + Qosmo + Epiphany Works + Noaj), voilà le parfum de la Lune tel que documenté par Apollo 12 et conçu par le studio Unfold (en collaboration avec le parfumeur Barnabé Fillion), et puis des lamelles de « météorite » en céramique, idéales pour la cuisine teppanyaki, créées par Yusuké Y. Offhause… Une salle comporte même une interaction magnétique avec le ballet indécis (Jean-François D'Or) d’une pendule centrale !
Si vous le voulez, vous pouvez successivement être immergé dans un trou noir (voir l’installation audiovisuelle fascinante de The solitary one par K. Verpoest, V. Caers, B. Glorieux et S. Detournay, avec des mouvements cytoplasmiques hypnotiques…), voyager aux confins du système solaire (luminaires écliptiques ou elliptiques de Magistretti - 1965, d’Ingo Maurer - 2017, ou encore de Nathalie Dewez - 2012, de Constance Guisset - 2017), découvrir les potentiels de l’extraction minière (n’oublions pas que nous sommes au Grand-Hornu – pour les œuvres, un exemple représentatif est le siège en pseudorégolite - principal matériau lunaire - du Studio Nucleo, basé sur la collection Driade - 2018) extra-atmosphérique pour arriver aux lois de l’Univers (et plus spécifiquement la gravité – voir par exemple les Quantum Nuggets de Laura Couto Rosado - 2017, conçus en résidence au CERN, ou bien l’évocation quadridimensionnelle de Thanos Zakopoulos - 2018).
Louvain et le Grand-Hornu sont deux lieux dont les histoires, quoique très différentes, ont été marquées par le savoir et l’innovation (songez à l’université fondée en 1425 pour Louvain et aux premiers chemins de fer, aux premières machines à vapeur, à l’école obligatoire dès le début du XIXe pour Hornu). Il s’agit également de deux lieux qui n’entendent pas laisser au passé ces caractéristiques essentielles mais se tournent adéquatement vers l’avenir (sans négliger leurs héritages, qu’ils conservent de la sorte en robuste santé). Ainsi la science et l’art se rejoignent sur les braises de 2021 dans l’exploration du cosmos. C’est à ce prix que l’humain participe sans réserve, en un souffle de communion avec l’univers, à des rêves rendus plus accessibles.
Festival Boum ! / Knal!
Jusq’au 30 janvier 2022
www.boumfestival.be
Au-delà du temps
Bibliothèque universitaire de la KU Leuven
Mgr. Ladeuzeplein 21
3000 Leuven
Jusqu’au 16 janvier 2022
Tous les jours de 10h à 17h (excepté les 24, 25 et 31 décembre)
www.boumfestival.be
Imaginer l’univers – Richard Long
Musée M Leuven
Vanderkelenstraat 28
3000 Leuven
Jusqu’au 16 janvier 2022 (Richard Long jusqu’au 20 mars 2022)
Du vendredi au mardi de 11h à 18h
Jeudi de 11h à 20h
www.mleuven.be
Un regard éternel
PARCUM
Abdij van Park 7
3001 Leuven
Jusqu’au 16 janvier 2022
Du mardi au dimanche de 10h à 17h
www.parcum.be
Cosmos - Design d’ici et au-delà
CID - Centre d’innovation et de design au Grand-Hornu
Site du Grand-Hornu
rue Sainte-Louise 82
7301 Hornu
Jusqu’au 27 février 2022
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
www.cid-grand-hornu.be
Journaliste
Né dans le Brabant sous le signe de l’humanisme, il étudie la Philosophie à l’Université Catholique de Louvain jusqu’en 2019. Curieux de tout, il se risque à l’écriture pour partager ses découvertes. Si la destination demeure inconnue, le voyage peut présenter de belles consolations.
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