Igor Tishin, l'ivresse des formes

Véronique Bergen
07 avril 2022

Représentant majeur de la peinture biélorusse contemporaine, Igor Tishin déploie une quatrième exposition chez Zedes Art Gallery. Son œuvre intempestive, puissante, sauvage, déconstruit l’académisme esthétique du réalisme socialiste et explore les tourments de la conscience collective biélorusse et les vertiges de la psyché.

Les tableaux d’Igor Tishin nous sautent à la gorge. Taillées dans un langage expressionniste post-soviétique, revisitant les courants de l’avant-garde russe (le constructivisme, le futurisme d’El Lissitsky, de Tatline, le suprématisme de Malévitch…), les toiles sont parcourues de tensions, de plans qui bifurquent. Doublant des mouvements qui s’entrechoquent, des jeux sur les échelles, l’ivresse chromatique délivre un monde fait de loups-garous, de créatures tourmentées emportées dans le vertige d’un imaginaire virtuose.

Entre onirisme et mascarade grotesque, Igor Tishin réajointe des plans de réalité éloignés, un avion multicolore surmonté du sigle EL 22, une étrange entité en équilibre sur le fuselage de l’appareil, un art cinétique des masses de couleurs. Le sens graphique flirte avec l’épilepsie de formes ravagées par des explosions, par la violence du geste de donner à voir. Le titre et la thématique de l’exposition se réfèrent à l’œuvre du peintre Lissitzky. Le réel s’est décollé, Igor Tishin le recolle, le décolle, l’interprète autrement, sans le réparer. Les peuples slaves portent en leur mémoire la douleur des massacres, de la répression sous le régime soviétique. L’esprit des artistes biélorusses, Chagall, Zadkine, Soutine souffle sur des œuvres qui fourmillent de références détournées, allusives. Références à la littérature, au folklore slave, à l’histoire, au gouffre de l’absurde. Le monde du peintre est à l’image de l’homme accroché à son échelle qui titube, qui se renverse, soufflé par un brasier de forces rouges. Le portrait est emporté dans la convulsion, dans des structures dissipatives et métamorphiques, la figure humaine ravagée par le cri et la débandade.

La puissance renversante des œuvres de l’artiste parle à nos sens, à notre inconscient, bouscule nos grilles perceptives. Avec Igor Tishin, quelque chose, un etwas bouge dans l’art. Un énervement vital, une déflagration qui refuse toutes les fadeurs, toutes les joliesses. Le peintre ausculte un monde entré dans une phase de crise perpétuelle, dans un régime d’instabilité. Les constructions géométriques sont agressées par des éclats chromatiques sur une toile devenue champ de bataille, parcourue de lettrages. Stupéfiant.

Igor Tishin
The Lissitzky Case
Zedes Art Gallery
36, rue Paul Lauters
1050 Bruxelles
Jusqu’au 23 avril 
Du mercredi au vendredi de 12h à 18 h, samedi de 14h à 18h
www.zedes-art-gallery.be

Véronique Bergen

Journaliste

Véronique Bergen est philosophe, romancière et poète. Docteure en Philosophie de l’Université de Paris 8, auteure d’essais philosophiques, dans le champ de l’esthétique, de romans, de recueils de poèmes, de nombreuses monographies sur des plasticiens. Membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, elle collabore à diverses revues, notamment des revues d’art.