Indonésie, miracle d’insularité

Ce n’est pas la première collaboration entre Europalia et Liège mais jamais auparavant une exposition d’envergure ne s’était tenue au cœur de la Cité ardente dans le cadre du Festival. C’est même la première fois qu’en Belgique, la culture indonésienne est exposée dans son ensemble, du néolithique à l'art contemporain. À La Boverie, se tient donc jusqu’au 21 janvier Les Royaumes de la mer. Archipel.

L’Indonésie - et ses plus de 17 000 îles s’étale - sur un territoire de la taille de l’Union européenne. La mer étant omniprésente, elle a fait de ce miracle d’insularité un carrefour d’échanges commerciaux et d’idées. Depuis le premier contact avec le monde extérieur, l’influence étrangère s’infuse dans la mer qui nourrit le pays. À partir du Ve siècle surtout, l’indianisation se met en mouvement. L’Asie du Sud-Est et l’Inde s’empruntent des idées, des langues, des religions, des techniques d’écriture. Elles s’échangent la culture pour se l’approprier et la remodeler. Au long de cette exposition, par des fioritures, le nom d’un capitaine inscrit sur une bague, une robe exceptionnellement plissée, une déesse guerrière, une statuaire hindo-bouddhique, un détail sur un vase… on est renvoyé tour à tour en Europe, en Inde, en Chine ou en Iran. Les passages des navigateurs, marchands et diplomates ont laissé des traces dans les mythes, les monuments, les arts et traditions de l’Indonésie, celle qui existe encore aujourd’hui.

Dans l’océan Indien, théâtre gigantesque d’un réseau commercial, les détroits indonésiens sont inévitables. L’Indonésie a donc vécu du contrôle des routes maritimes en y introduisant ses propres productions : les épices, les huiles, les pierres précieuses des montagnes de Sumatra et de Java, etc. En échange, l’archipel importe des produits étrangers : verres de Syrie et d’Irak, céramiques et grès de Chine ou encore tissus d’Inde et du Sri Lanka. Au cœur d’un carrefour économique, l’Indonésie a clairement été partie prenante du processus de globalisation de l’économie mondiale. Et dans ce cours de l’Histoire, il ne s’agit pas que d’échanges de produits mais aussi d’idées. L’hindouisme, puis le bouddhisme, se répandent les premières. La religion islamique se fait aussi sa place, à tel point qu’au XIVe siècle, les sultanats se propagent. C’est surtout en bord de mer que les populations sont les plus influençables. Le cœur des terres - trop occupé à la riziculture - est plus imperméable que celui du littoral. Au XVIe, ce sont les Européens qui infiltrent le monde indonésien. Aussi, des contacts avec la culture de Dông Son (Vietnam) ont été révélés plus tard, alors qu’un mois de navigation sépare ces territoires. Le contigu et l’éloigné se tiennent la main.

En tout, plus de 250 œuvres indonésiennes sont exposées, pour beaucoup il s’agit de trésors nationaux, généreusement prêtés par le Musée national d'Indonésie ou des musées locaux. Céramiques néolithiques et chinoises, perles et tissus rares, parures en or, statuaire… certaines pièces quittent pour la première fois leur terre natale. Il y a beaucoup à voir, et notamment quelques pièces exceptionnelles comme un tambour de bronze Dông Son – l’une des plus belles pièces, paraît-il, du Musée national, il n’en existe qu’une cinquantaine en Indonésie - ou des statuaires hindo-bouddhiques, à l’instar du Ganesh de Candi Banon, datant du IXe siècle. Cet éléphant, fils de Shiva, est l’un des chefs-d’œuvre de la statuaire indonésienne. Ganesh repousse les obstacles ! Protecteur des voyageurs, il est adopté par ceux qui s’élancent en mer. Clou du spectacle, le parcours de l’exposition s’achève, ou plutôt « s’ouvre » sur une œuvre monumentale : un bateau traditionnel indonésien, de 4 tonnes, 14 mètres de long et 6 mètres de large. En exclusivité pour cette exposition, ce padewakan a été construit en Indonésie, près de Makassar, démonté, transporté et remonté dans la verrière du musée par quatre charpentiers indonésiens selon une technique transmise oralement de génération en génération.

Si la mer est le fil rouge incontesté de l’exposition, cette dernière est plus historique que thématique. C’est une approche muséale très classique, chronologique, mais l’aperçu est riche et adopte çà et là une touche contemporaine. Nous ne connaissons souvent de l’Indonésie que des images touristiques, des photos ou cartes postales qui ne racontent en rien l’histoire ni la culture du pays. L’exposition à cet égard est dense et permet d’en apprendre bien plus que dans une brochure d’agence de voyage. En terme d’art contemporain, il y a notamment une installation vidéo d'Alexis Gautier. Ce jeune homme (il n’a pas trente ans) a passé deux mois en Indonésie à la recherche de la définition d'une île. Au cœur de l’exposition, entre amphores du VIe siècle et statuaires hindouistes, on croise aussi l’œuvre de l'artiste indonésienne Titarubi. Une installation à la fois dramatique et lumineuse : dans une grande salle sombre et épurée, trois silhouettes de taille humaine, vêtues d’un manteau de boules dorées, trônent sur des barques traditionnelles. Ces œuvres en même temps très modernes, au milieu de l’histoire indonésienne, renvoient vers le passé de leur pays. La question est : comment l’Indonésie, immense terre d’eau et d’échange, s’est-elle construite au milieu de tout ça ?
 

Les Royaumes de la mer. Archipel
La Boverie
Parc de la Boverie 3
4020 Liège
Jusqu’au 21 janvier 2018
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
www.laboverie.com/

 

Indonésie, miracle d’insularité

Ce n’est pas la première collaboration entre Europalia et Liège mais jamais auparavant une exposition d’envergure ne s’était tenue au cœur de la Cité ardente dans le cadre du Festival. C’est même la première fois qu’en Belgique, la culture indonésienne est exposée dans son ensemble, du néolithique à l'art contemporain. À La Boverie, se tient donc jusqu’au 21 janvier Les Royaumes de la mer. Archipel.

L’Indonésie - et ses plus de 17 000 îles s’étale - sur un territoire de la taille de l’Union européenne. La mer étant omniprésente, elle a fait de ce miracle d’insularité un carrefour d’échanges commerciaux et d’idées. Depuis le premier contact avec le monde extérieur, l’influence étrangère s’infuse dans la mer qui nourrit le pays. À partir du Ve siècle surtout, l’indianisation se met en mouvement. L’Asie du Sud-Est et l’Inde s’empruntent des idées, des langues, des religions, des techniques d’écriture. Elles s’échangent la culture pour se l’approprier et la remodeler. Au long de cette exposition, par des fioritures, le nom d’un capitaine inscrit sur une bague, une robe exceptionnellement plissée, une déesse guerrière, une statuaire hindo-bouddhique, un détail sur un vase… on est renvoyé tour à tour en Europe, en Inde, en Chine ou en Iran. Les passages des navigateurs, marchands et diplomates ont laissé des traces dans les mythes, les monuments, les arts et traditions de l’Indonésie, celle qui existe encore aujourd’hui.

Dans l’océan Indien, théâtre gigantesque d’un réseau commercial, les détroits indonésiens sont inévitables. L’Indonésie a donc vécu du contrôle des routes maritimes en y introduisant ses propres productions : les épices, les huiles, les pierres précieuses des montagnes de Sumatra et de Java, etc. En échange, l’archipel importe des produits étrangers : verres de Syrie et d’Irak, céramiques et grès de Chine ou encore tissus d’Inde et du Sri Lanka. Au cœur d’un carrefour économique, l’Indonésie a clairement été partie prenante du processus de globalisation de l’économie mondiale. Et dans ce cours de l’Histoire, il ne s’agit pas que d’échanges de produits mais aussi d’idées. L’hindouisme, puis le bouddhisme, se répandent les premières. La religion islamique se fait aussi sa place, à tel point qu’au XIVe siècle, les sultanats se propagent. C’est surtout en bord de mer que les populations sont les plus influençables. Le cœur des terres - trop occupé à la riziculture - est plus imperméable que celui du littoral. Au XVIe, ce sont les Européens qui infiltrent le monde indonésien. Aussi, des contacts avec la culture de Dông Son (Vietnam) ont été révélés plus tard, alors qu’un mois de navigation sépare ces territoires. Le contigu et l’éloigné se tiennent la main.

En tout, plus de 250 œuvres indonésiennes sont exposées, pour beaucoup il s’agit de trésors nationaux, généreusement prêtés par le Musée national d'Indonésie ou des musées locaux. Céramiques néolithiques et chinoises, perles et tissus rares, parures en or, statuaire… certaines pièces quittent pour la première fois leur terre natale. Il y a beaucoup à voir, et notamment quelques pièces exceptionnelles comme un tambour de bronze Dông Son – l’une des plus belles pièces, paraît-il, du Musée national, il n’en existe qu’une cinquantaine en Indonésie - ou des statuaires hindo-bouddhiques, à l’instar du Ganesh de Candi Banon, datant du IXe siècle. Cet éléphant, fils de Shiva, est l’un des chefs-d’œuvre de la statuaire indonésienne. Ganesh repousse les obstacles ! Protecteur des voyageurs, il est adopté par ceux qui s’élancent en mer. Clou du spectacle, le parcours de l’exposition s’achève, ou plutôt « s’ouvre » sur une œuvre monumentale : un bateau traditionnel indonésien, de 4 tonnes, 14 mètres de long et 6 mètres de large. En exclusivité pour cette exposition, ce padewakan a été construit en Indonésie, près de Makassar, démonté, transporté et remonté dans la verrière du musée par quatre charpentiers indonésiens selon une technique transmise oralement de génération en génération.

Si la mer est le fil rouge incontesté de l’exposition, cette dernière est plus historique que thématique. C’est une approche muséale très classique, chronologique, mais l’aperçu est riche et adopte çà et là une touche contemporaine. Nous ne connaissons souvent de l’Indonésie que des images touristiques, des photos ou cartes postales qui ne racontent en rien l’histoire ni la culture du pays. L’exposition à cet égard est dense et permet d’en apprendre bien plus que dans une brochure d’agence de voyage. En terme d’art contemporain, il y a notamment une installation vidéo d'Alexis Gautier. Ce jeune homme (il n’a pas trente ans) a passé deux mois en Indonésie à la recherche de la définition d'une île. Au cœur de l’exposition, entre amphores du VIe siècle et statuaires hindouistes, on croise aussi l’œuvre de l'artiste indonésienne Titarubi. Une installation à la fois dramatique et lumineuse : dans une grande salle sombre et épurée, trois silhouettes de taille humaine, vêtues d’un manteau de boules dorées, trônent sur des barques traditionnelles. Ces œuvres en même temps très modernes, au milieu de l’histoire indonésienne, renvoient vers le passé de leur pays. La question est : comment l’Indonésie, immense terre d’eau et d’échange, s’est-elle construite au milieu de tout ça ?
 

Les Royaumes de la mer. Archipel
La Boverie
Parc de la Boverie 3
4020 Liège
Jusqu’au 21 janvier 2018
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
www.laboverie.com/

 

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