Irina Favero-Longo présente Heavy Mechanics à La CENTRALE | vitrine. Deux dispositifs vidéo fixés à des barres en métal entourent une sculpture représentant un haltère composé de deux poids en céramique et évoquant la pesanteur des corps. Les deux dispositifs vidéo mettent en évidence le rapport que les corps organiques entretiennent avec ceux que l’artiste qualifie de mécaniques tels qu’une machine de course et une barre de pole dance. Irina Favero-Longo nous fait partager sa fascination pour la capacité d’adaptation et de transformation du corps humain au contact des structures urbaines et des objets standardisés. À voir jusqu’au 5 mars.
Le projet d’exposition est né de l’observation d’une machine de course dans un parc situé quai de la Houille, à deux pas de La CENTRALE | vitrine. L’artiste a filmé une série de têtes en mouvement qui défilent sur un arrière-plan fixe. Les têtes qui rebondissent à l’image dans le premier dispositif vidéo laissent deviner des personnes en train de courir sur une machine de course, mais le cadrage de la caméra ne permet pas d’entrevoir cette dernière, suggérant seulement les différents usages possibles de ce mobilier urbain. Irina Favero-Longo s’intéresse aux hors-champ, à ce que le spectateur ne peut pas voir à l’écran, mais qu’il doit s’efforcer d’imaginer. En faisant disparaître du champ de la caméra la machine de course, l’artiste crée une tension entre ce qui apparaît dans le cadre de la caméra et ce qu’il y a en dehors, ce qui a pour effet de stimuler notre imagination et notre créativité.
Irina Favero-Longo part du constat que les objets qui ont envahi l’espace public sont standardisés. Ils ne sont que de simples répliques de modèles industrialisés. Par ces installations vidéo, l’artiste aiguise notre regard et nous réapprend à observer notre environnement urbain d’un œil plus analytique, plus scrutateur. Le spectateur est amené à s’interroger sur la manière dont il interagit avec ce type de mobilier et comment celui-ci modifie son corps, le façonne et le norme à son tour par la restriction des usages qu’il instaure. Certains usagers arrivent parfois à dépasser les fonctions restrictives du mobilier urbain standardisé et à inventer de nouvelles manières de se les approprier. Les corps organiques ont une capacité étonnante d’adaptation aux corps rigides. L’artiste confronte le spectateur à deux tendances paradoxales, d’une part, à force d’utiliser ces machines, nos mouvements dans l’espace se normalisent et nos corps se standardisent pour répondre aux usages suggérés par la société, de l’autre, nos corps résistent à la norme dominante et trouvent toujours un moyen de la contourner, de la déjouer et de réinventer de nouvelles manières de s’approprier ces objets inflexibles.
Le deuxième dispositif vidéo présente un corps androgyne qui se meut autour d’une barre en métal. Le corps semble suspendu, en lévitation, tout en se déployant autour de l’objet métallique inerte et froid. Le danseur entre en dialogue avec cette barre verticale qui scinde l’espace en deux en réalisant des figures aériennes et acrobatiques innovantes. Irina Favero-Longo donne à voir la fabuleuse capacité de résilience du corps humain qui réussit à s’adapter aux objets, mais aussi à inventer, à concevoir de nouvelles manières d’interagir avec eux. L’humain trouve sans cesse des subterfuges, des moyens de lutter contre la standardisation de plus en plus opérante dans nos sociétés industrialisées. Irina Favero-Longo filme aussi le processus de préparation du danseur qui se rase les parties du corps en contact avec la barre pour mieux s’agripper et prendre « corps » avec celle-ci. On le voit notamment appliquer une sorte de lotion, la « grip », qui transforme sa peau en surface adhérente. Toutes ces techniques sont autant de stratagèmes destinés à favoriser l’interaction et la mise en dialogue du corps organique avec le corps mécanique.
Au centre des deux installations vidéo, une sculpture qui semble lourde est posée au sol. Il s’agit d’un haltère avec deux poids en céramique sur lequel est apposé un objet en silicone mou et bidimensionnel représentant des bras étendus. Irina Favero-Longo souligne ainsi le paradoxe entre la représentation de ces bras en silicone complètement plats et dégonflés au repos et un objet qui renvoie à l'univers des bodybuilders avec leurs muscles gonflés à bloc. Pour l’artiste, il s’agit de critiquer le corps qui se déforme au contact de la structure. À force d’utilisation, le corps s’épuise et devient amorphe. Un autre paradoxe apparaît dans un second temps, celui des poids de l’haltère qui sont ici en céramique, un matériau plutôt précieux, fragile, qui se déforme à la cuisson alors qu’habituellement ces poids sont en titane ou en fonte, un matériau lourd et indéformable.
Cette exposition a le mérite d’interroger notre rapport aux objets, formes et matières présents dans notre environnement. L’artiste détourne la fonction première du mobilier urbain, une manière pour elle de défier les diktats de la standardisation et de nous interroger sur notre environnement face à la norme. Elle nous suggère aussi de revoir le rapport que notre corps organique entretient avec le corps mécanique. C’est une belle invitation à innover dans notre façon de nous approprier les objets et de développer une communication plus poétique avec eux.
Heavy Mechanics
La CENTRALE | Vitrine
13 rue Sainte-Catherine
1000 Bruxelles
Jusqu'au 5 mars
La CENTRALE
Journaliste
Diplômée d’un master en Architecture à l’ULB-La Cambre-Horta et d’un master en Histoire de l’art à l’ULB, cette double formation lui a donné l’opportunité de s’occuper de la scénographie des expositions « Belgian Follies » (2020) et « Superstudio Migrazioni » (2021) au CIVA. Depuis septembre 2018, elle travaille également très régulièrement en tant que guide-conférencière. Elle anime notamment des visites guidées pour Arkadia, Brussels Gallery Weekend et Art Brussels. De 2019 à 2021, elle a enseigné le cours de projet d’architecture en bachelier à la faculté d’architecture de l’ULB-La Cambre-Horta.
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