La Galerie Greta Meert propose des expositions monographiques de Jacob Kassay et de Sophie Nys. Basées sur l'énigme de leur apparente simplicité. Jusqu'au 1er juillet.
Jacob Kassay, plasticien basé aux Etats-Unis, use de médiums dans différents états : du mur au sol, frondaisons rectangulaires et scolopendres de verre prennent place de manière sibylline. Chez l’artiste belge Sophie Nys, une incongruité s’énonce également : d’étranges outils distillés dans la pièce font art à côté d’une série de Polaroïd de la Caisse nationale des Pensions pour Employés. Le jugement esthétique se trouve finement ébranlé.
Dans une première salle, Jacob Kassay nous présente sculptures et tableaux avec Never Before Seen Footage of Woodstock. Ses monochromes de bois - définis comme des peintures - ont l’apparence d’objets manufacturés mimant une architecture industrielle. Peu bavards, les quatre parallélogrammes pourraient faire partie intégrante des cloisons, mais se révèlent pourtant œuvres à part entière. Sur le lino, les insectes en trois dimensions s’adaptent naturellement à l’architecture, épousant les formes qu’ils rencontrent.
Au deuxième étage, Sophie Nys nous propose plusieurs visuels de la tour de la gare du Midi, le plus grand édifice belge. Nuances lumineuses, détails chromatiques et contrastes permettent de différencier les clichés un peu à la manière d’un Shot Sage Blue Marilyn. Mêlées les unes aux autres, d’autres propositions artistiques plus absconses dans leurs intentions s’éparpillent avec Mahmoud Ahmed (2019), petit bout de bois ouvré, ou Offerte (2023), surface plane de métal. La série Offerblok (2023) - tirelires coniques de chêne et de pins vernis inspirées de celles que l’on trouve dans les églises - n’explicite pas non plus son usage et se fond aisément dans la scénographie. Leur dénomination décalée ajoute une seconde strate à l’illogique chemin d’interprétation.
Les mécanismes sous-jacents de ces éléments font écho à une phrase du Méridional, qui le 27 août 1993 commente : " Sans doute est-il bon de rappeler que cette fontaine n’est rien d’autre qu’un urinoir posé à terre. Ce parti pris permet de se pencher sur la théorie de l’art de manière ludique et de reformer nos conceptions du désuet et de l’intelligible : s’agit-il d’une structure scénographique déphasée ou d’une œuvre qui s’autoparodie ? "
L’objet physique est souvent considéré comme un stimulant nécessaire à la réflexion métaphysique. Le pouvoir de la sérialité est expérimenté chez les deux artistes qui contorsionnent l’idée spéculative d’œuvre d’art par sa réitération.
Les yeux aux récepteurs photosensibles des étranges insectes de verre de Jacob Kassay nous ramènent aux modules actifs dans le regard lorsque l’on visionne des images numériques. Dans les sillons de la matière flexible et inflammable des planches OCB, l’on décèle les lignes d’un équilibre esthétique postconceptuel où l’optique crée l’illusion. La réciprocité entre le processus, la forme et le matériel est mise en lumière par la propriété cinétique des deux créations, même si elles ne semblent, de prime abord, pas connectées. Les panneaux de bois se trouvent chargés d’un magnétisme et les figurines d’une légère vibration qui contaminent l’espace curatorial.
Les Polaroïds de Nys deviennent les reliques d’une réalité sociale, par la corrélation entre habitation privée et motif urbain identifiable, car ces dix-huit clichés sont l’allégorie des pensions que l’artiste devra encore payer avant de prendre sa retraite. La forme cyclique de WC, Bureaux Bureaux Bureaux (2023), signalétique désorientée, opère un ressassement comique par son verbe et sa présentation. La lenteur du processus sériel et la grammaire plastique minimale nient subtilement les vertus autotéliques de l’art.
La légèreté de l’approche favorise les digressions malicieuses entre artefact et idée esthétique. La complicité discrète qui unit les deux expositions est entre autres basée sur l’énigme de leur apparente simplicité que le détournement du médium viendra ensuite complexifier. Écrans de bois, verre à mille-pattes, Polaroïd au sommet et autres impertinences matérielles ouvrent une brèche dans le mur théorique.
Sophie Nys
Jacob Kassay, Never Before Seen Footage of Woodstock
Greta Meert
13 rue du Canal
1000 Bruxelles
Jusqu’au 1 juillet 2023
Du mardi au samedi de 14h à 18h
www.galeriegretameert.com
Journaliste
Sûrya Buis est philosophe de l’art. Les sciences sociales, la philosophie et la littérature nourrissent son travail. Fascinée par le pouvoir de l'imagination, sa réflexion est basée sur les mécanismes psychiques qu’une œuvre d’art active et leur rôle dans la désorganisation des schémas de pensées. Transmettre ses ressentis sur différentes propositions artistiques par le biais de l'écrit lui permet d'extraire des sensibilités polyphoniques.
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