Jacqueline Devreux, vies dérangées

Muriel de Crayencour
21 décembre 2017

On connaît Jacqueline Devreux pour ses grandes peintures à l'huile, floutées par la matière, et pour ses photographies, toujours des portraits. La voici à la Galerie Pierre Hallet avec trois toiles mais surtout une exceptionnelle série de dessins à la mine de plomb.

Cernés d'un trait noir comme pourrait l'être une gravure, les dessins de Devreux déploient une galerie de personnages plus ou moins déshabillés et parfois avec le visage effacé. La quête de cette artiste belge (1963, Bruxelles) voyage du côté de l'identité et du portrait intime. La sienne, les nôtres. Nos identités publiques, privées, secrètes, lumineuses ou sombres. Et comment les voir, les capter et les montrer. Ainsi, l'artiste part souvent d'autoportraits photographiés ou de photographies de modèles d'un jour - amis, collègues - qu'elle sollicite. Chez ceux-ci et chez elle-même, elle a vu quelque chose en creux, une ombre mouvante, le revers d'une médaille, bref une part d'humain qui la touche et l'interpelle. C'est ce qu'elle aime à montrer.

Autour de cette galerie se greffent de nombreuses histoires racontées par les poses prises, les associations d'éléments... contes étranges et un peu pervers, navigant sur la crête d'une vague, celle de l'érotisme ou de la mort apprivoisée. Ainsi, Party girls, cette jeune fille en t-shirt ligné, qui se penche avec vivacité vers une autre silhouette fondue dans le décor et à tête de mort. On ne sait ce qu'a voulu y mettre Jacqueline Devreux mais nous y voyons la danse joyeuse et macabre de la vie qui se promène jusqu'à sa fin annoncée. Voici Histoire d'O, le portrait d'une jeune femme nue assise. Elle porte les mains à son visage, le masquant d'un halo d'ombre formant comme un "O". Plus loin, La Partie, une scène d'une partie d'échecs, avec à gauche une jeune femme habillée, à droite, l'artiste elle-même, nue, déplaçant un pion. La scène est complétée d'une silhouette de femme à l'arrière-plan et d'un petit chien assis sous la table. Celui-ci nous dit : ne vous en faites pas, rien n'est grave, ce n'est qu'un jeu. Things we said today, c'est une autre femme, assise de profil, une longue veste ouverte sur un sein qu'elle tient de ses deux mains, l'offrant à voir et à admirer. L'arrière-plan, le reste du corps, les jambes sont perdus dans le noir du crayon mille fois repassé. N'émerge que ce sein blanc, la veste et une partie du visage. Un érotisme brûlant s'en dégage. Mais encore, un homme en costume et cravate fleurie, dont le visage a disparu sous une masse rageuse et noire.

Au fil de ces dessins se met à nu une quête intense du vrai qui est en chacun de nous. L'artiste aimerait que tous, nous tombions le masque, que tous nous assumions nos parts noires, que tous nous osions être profondément vrais et vibrer, frémir de désir et de vie. Finalement, elle nous offre des antidotes à la vie rangée. Que nous avalons avec plaisir.

 

Jacqueline Devreux
Epicerie fine
Galerie Pierre Hallet
33 rue Ernest Allard
1000 Bruxelles
Jusqu'au 4 février
Mardi, jeudi, vendredi de 14h30 à 18h30
Samedi de 11h30 à 18h30, dimanche de 11h30 à 13h30
http://www.galeriepierrehallet.com/

 

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.