A Roubaix, pour fêter les vingt ans de sa rénovation, La Piscine, lieu Art déco s'il en est, construit par Albert Baert en 1932, organise plusieurs expositions et événements incontournables. En cette période de pandémie, c’est une belle saison qui a débuté avec notamment la rétrospective d’Alexej von Jawlensky ainsi que celle de l’artiste peintre Susanne Hay (1962-2004), à laquelle s’ajoute celle du céramiste et sculpteur Jean-François Fouilhoux.
Né en Russie en 1864 (mort à Wiesbaden en 1941), Alexej von Jawlensky quittera la Russie avant la Première Guerre mondiale, passera par la Suisse, puis vivra le reste de son existence en Allemagne. Touchant à ses débuts à l’impressionnisme, aux paysages et aux natures mortes, il se passionnera pour la peinture d’avant-garde et ses défis. Il rencontrera les membres du mouvement Nabi, créant avec ses amis Kandinsky et Paul Klee le groupe des Quatre bleus, se consacrera presque exclusivement au portrait et exposera avec le Blaue Reiter. Evoluant entre expressionnisme et fauvisme, figuration et abstraction, et après avoir touché aux paysages vus de sa fenêtre dans sa série Variations, il s’intéressera au visage. Si Jawlensky n’avait pas dédaigné réaliser des autoportraits à ses débuts, il avait peint également ses proches et amis dans des couleurs vives et chatoyantes. Mais dans sa quête du visage et avec le temps, il pourchassera le visage et le représentera de plus en plus, en séries, stylisé, simplifié, détaché de tout détail et superflu jusqu’à ses dernières limites et retranchements.
Pour Jawlensky, le visage était comme un paysage, une nature morte, un défi et bientôt une énigme à explorer. Une obsession représentée en couleurs vives et directes. Visage après visage dans d’incroyables séries, ce sont donc autant de figures impossibles que le peintre semble avoir percées ou simplement livrées à l’observation. Visages qu’il réduira à la fin en quelques traits baignés de couleurs soulignées de traits sombres. Visages qui se réduiront, ou se sublimeront, en simples faces ou figures. Des faces stylisées et tracées par la ligne des yeux et des sourcils, portées par le trait du nez.
S’il est vrai qu’à partir de 1917 et quasi jusqu’à sa mort, Alexej von Jawlensky ne traitera que de visages, c’était probablement à la poursuite d’une véritable quête mystique dont il suivait le chemin. L’origine de cette passion se trouverait dans l’admiration d’une icône sacrée en Pologne, laquelle l’aurait subjuguée. Dans Têtes mystiques et Faces du Sauveur (de 1917 à 1923) puis plus tard Têtes géométriques et Méditations (jusqu’en 1937), le visage s’était définitivement imposé, le peintre s’inspirant du symbolisme de l’Eglise orthodoxe russe. Mais le visage s’était géométrisé, avait pris toute la place sur le tableau, imposant sa présence en couleurs vives tout en s’éloignant de la réalité. Prenant parfois l’aspect d’une croix avec le nez et les yeux en traits sombres et stylisés. Bref, toute ressemblance avec une personne célèbre de l’Antiquité n’est pas vraiment fortuite.
Car il serait impossible d’enlever la dimension religieuse à tant d’assiduité à explorer ce fantastique mystère qu’est le visage. Jawlensky ne s’en était pas caché. Il précisa, après avoir réalisé autant de variations sur ce thème, qu’il avait compris que la grande peinture n’était possible que nourrie, ou inspirée, d’une dimension et d’un sentiment religieux… Souffrant d’arthrite à la fin de sa carrière et lors de sa série Méditations, le peintre, qui était obligé d’attacher le pinceau à ses mains, sublimait encore davantage le visage en lui donnant ses lettres de noblesse dans l’abstraction la plus totale.
Encore méconnu chez nous (très apprécié outre-Atlantique ainsi qu’en Suisse et en Allemagne), grâce à cette rétrospective, Jawlensky devrait gagner en notoriété. Et qui sait, être mieux connu parmi les icônes de la peinture abstraite du 20e siècle.
Aux côtés de Jawlensky, figurent des œuvres d’artistes auxquels il fut lié : Matisse, Rouault, Kandinsky, Klee…
Riche d’importants prêts internationaux, on doit cette première grande rétrospective française de l’artiste à Itzhak Goldberg, historien de l’art et auteur du livre Jawlensky ou le visage promis. L’exposition est coproduite avec la Fondation Mapfre à Madrid et le Musée Cantini à Marseille. Elle a reçu le soutien de la Région Hauts-de-France et de la Métropole européenne de Lille.
Alexej von Jawlensky (1864 - 1941)
La Promesse du visage
La Piscine, Musée d'art et d'industrie André Diligent
Roubaix
France
Jusqu'au 6 février
Du mardi au jeudi de 11h à 18h, le vendredi de 11h à 20h
Samedi et dimanche de 13h à 18h
www.roubaix-lapiscine.com
Journaliste
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