La peinture moléculaire de Jean-Daniel Allanche

Caroline Roure
02 février 2023

La galerie Modesti Perdriolle présente l’œuvre de Jean-Daniel Allanche (1940-2015) sous le titre : L’atelier moléculaire de Saint-Germain-des-Prés. Né dans une famille juive séfarade de Sfax (Tunisie), il a été naturalisé français par décret en 1970.

Chercheur en physique nucléaire, c’est un « artiste outsider » autodidacte qui passera plus de trente ans à peindre et repeindre son appartement parisien, des murs aux plafonds, en passant par les sols. Il laisse aussi derrière lui une accumulation éparse de poèmes, de pensées, de cahiers remplis de combinaisons de chiffres ainsi qu’une multitude d’objets disparates, tels que des statues africaines, souvenirs de son voyage au Congo.

L’exposition présente de multiples fragments de l’atelier de l’artiste, notamment des panneaux muraux, des portes et même des nappes ornées.


Ode à la vie

L’entrée dans l’espace d’exposition confronte le visiteur à l’œuvre Hommage à la vie, composée de trois panneaux en fibre de bois et au centre desquels on peut lire : Je veux être la rosée sur les pétales de ta folie et couvrir tes nuits d’une mince lueur. Jean-Daniel Allanche y représente le motif du couple originel. À droite de la composition, on peut voir Adam, dont le corps entremêlé à celui d’Ève, ne forme plus qu’une entité avec celle-ci. Du sexe dressé d’Adam jaillit la semence fondatrice qui se décompose en molécules et se répand dans l’univers pour créer l’humanité. À gauche de la composition, le serpent, symbole du péché originel, vient troubler l’harmonie du couple. Cette œuvre, peinte après la visite d’une exposition de Marc Chagall, s'en inspire par la gestion des couleurs ou par le dessin du profil des personnages.

Jean-Daniel Allanche, scientifique spécialisé dans la mécanique quantique, utilise le motif récurrent de la molécule. Sur les murs de son appartement présentés ici, une multitude de ronds faits de l’empreinte de ses doigts nous rappelle que l’infiniment petit est toujours corrélé à l’infiniment grand. « Il faudrait mettre le monde dans une bulle et soi-même dans le monde. » Ses peintures sont ainsi toujours animées d’une énergie fondatrice composée de particules élémentaires.


Expérience syncrétique

Grand érudit, Jean-Daniel Allanche se passionne pour des sujets divers tels que la musique, la poésie, la philosophie ou bien encore l’ésotérisme. Il étudie aussi la Kabbale ainsi que les pensées hindouiste et bouddhiste. Selon Barbara Safarova, essayiste et présidente ABCD (Art Brut Connaissance & Diffusion), il s’intéresse à la théorie des systèmes et à l’unification des différents domaines de la science.

Dans sa quête d’harmonie, cet artiste mêle dans ses peintures plusieurs domaines qui ne sont que des expériences et ne constituent jamais une fin en soi. Il suit une logique singulière et développe une esthétique résultant de ses propres règles. Ses peintures sont toujours accompagnées de notes dans lesquelles il décrit minutieusement les pigments choisis et les associations entre couleurs et notes de musique. Il explique qu’il recherche l’harmonisation « en divisant d’une certaine manière le cercle des couleurs en douze parties correspondant aux douze sons de la gamme chromatique ». Par exemple, son œuvre Singe et Forêt est ainsi annotée par ses soins : « Je n’ai utilisé que huit couleurs vertes et bleues, de Do à Ré ¾ : Do, Do1/4, Do#, Do3/4, Ré, Ré1/6, Ré#, Ré3/4. » 

Jean-Daniel Allanche est avant tout un coloriste hors pair. Dans ses peintures, les couleurs fusionnent et les formes ne sont pas délimitées, même si l’artiste ne quitte jamais totalement le figuratif.


Existentialisme

Deux symboles traversent son œuvre :  la femme et l’oiseau. Toutefois, il ne s’agit pas de n’importe quelle femme, mais de femmes qu’il a aimées, les noms de Joy et d’Angila revenant souvent. L’oiseau, qui se déplace où bon lui semble, incarne l’idée de liberté et d’indépendance. Jean-Daniel Allanche est d’ailleurs décrit par sa fille, Lucile Allanche, comme un être autocentré et solitaire. « La solitude est ton palais où personne ne peut entrer pour s’y installer. Cela doit te renforcer et non t’affaiblir. » L’artiste utilise son libre arbitre. Il détermine seul son univers dans le secret le plus complet, c’est un existentialiste.

En 2015, Jean-Daniel Allanche livre son œuvre ultime. Cette peinture traduit la conscience qu’a l’artiste de sa propre mort qui arrive. « Je me dresse face à la mort, moi sujet singulier. Sous ton regard, tout homme doit être vu pour lui donner son âme vivante. » Selon l’interprétation de sa fille, l’artiste se représente face à une ombre, la mort, qui se manifeste dans la figure d’une femme sans trait. Tous deux se décomposent en molécules et rejoignent un agglomérat de particules élémentaires, formant une sorte de nuage énergétique. Ils se dissolvent dans le cosmos, exprimant ainsi la loi de la conservation de l’énergie, qui ne peut être ni créée ni détruite, mais qui se transforme d’une forme à une autre.

Cette exposition a le mérite de révéler au grand jour le génie créateur de Jean-Daniel Allanche qui, au-delà de sa maîtrise de la couleur, laisse derrière lui une œuvre métaphysique à part entière dont les sources d’inspiration sont multiples !
 

L’atelier moléculaire de Saint-Germain-des-Prés
Modesti Perdriolle
27 rue Saint-Georges
1050 Ixelles
Jusqu’au 18 mars
Du mercredi au vendredi de 14h à 18h
Samedi de 11h à 18h
https://www.modestiperdriolle.com

Caroline Roure

Journaliste

Diplômée d’un master en Architecture à l’ULB-La Cambre-Horta et d’un master en Histoire de l’art à l’ULB, cette double formation lui a donné l’opportunité de s’occuper de la scénographie des expositions « Belgian Follies » (2020) et « Superstudio Migrazioni » (2021) au CIVA. Depuis septembre 2018, elle travaille également très régulièrement en tant que guide-conférencière. Elle anime notamment des visites guidées pour Arkadia, Brussels Gallery Weekend et Art Brussels. De 2019 à 2021, elle a enseigné le cours de projet d’architecture en bachelier à la faculté d’architecture de l’ULB-La Cambre-Horta.