Jean-Michel Basquiat revisite l'histoire

Gilles Bechet
12 mai 2023

Dans El Gran Espectaculo, spectaculaire triptyque de plus de trois mètres, Jean-Michel Basquiat revisite en mots et en images ses racines afro-américaines. Cette toile majeure est mise en vente le 15 mai chez Christie's New York.


C'est une toile majeure de Jean-Michel Basquiat qui sera mise en vente ce 15 mai chez Christie's à New York. Intitulée El Gran Espectaculo (The Nile), c'est une composition complexe qui s'étend sur trois panneaux où les mots, les images et les symboles se confrontent et se complètent dans un fascinant dialogue. Réalisée en 1983, lorsque l'artiste avait 22 ans, c'est une œuvre qui, comme l'indique son troisième titre History of the Black people, évoque la traite des esclaves en remontant à l'Egypte ancienne.

Même s'il a réalisé quelques graffitis vers les années 1978-79, Basquiat ne s'est jamais considéré comme un street artist. De la rue, il garde sans doute cette volonté de s'exprimer et de communiquer par images et par mots. C'est d'ailleurs à la même époque que le hip hop, un autre art des rues et des mots, a pris de l'ampleur et de la légitimité.

Chez Basquiat, images et mots ont la même puissance d'expression, à la fois directe et frontale, mais aussi polysémique. C'est ce qui en fait sa richesse et pourquoi elle résonne autant avec l'esprit et les préoccupations de notre époque.

Certains des mots et symboles - comme la couronne et l'araignée - apparaissant dans El Gran Espectaculo appartiennent au vocabulaire pictural de Basquiat presque depuis ses débuts. C'est le cas aussi du mot SALT (sel). Ce qui est aujourd'hui l'assaisonnement le plus commun a longtemps été une monnaie d'échange, un symbole de pouvoir et un détonateur de guerre. C'est aussi l'opposé du poivre, comme le blanc est l'opposé du noir. Basquiat joue et détourne ces polarités.

Le mot NUBA, fait référence à l'ancien royaume de Nubie, royaume mythique bercé par le Nil et berceau du panafricanisme. Une sorte de commencement. Basquiat l'inscrit au-dessus de deux masques « africains », ceux-là mêmes qui ont inspiré l'art occidental et qu'il se réapproprie dans son art. Le sujet de l'esclavage est au centre de la composition. Sur une silhouette noire, il a inscrit le mot SLAVE, mais aussi son pendant français ESCLAVE, dont il a barré certaines lettres comme pour donner encore plus de visibilité au mot. Au centre de la composition apparaît la forme d'une barque, semblable à celle utilisée dans l'Egypte prédynastique et dont on a retrouvé des représentations sur les parois de grottes près de la mer Rouge. Utilisé pour des transport de marchandises sur de longues distances, l'embarcation est aussi une métaphore du transport des esclaves d'Afrique vers le « Nouveau Monde ». Inscrit en vert, le mot NILE (Nil) a ses deux consonnes barrées de bleu. Le Nil a été, et est, une importante voie de communication, On verra dans ce masquage de deux lettres un symbole de la communication difficile entre l'Afrique et l'Occident, entre le passé et le présent.

MEMPHIS THEBES TENNESSEE. Memphis, avant d'être une ville du Tennessee, était la capitale de l'Egypte pharaonique, qui a ensuite laissé la place à Thèbes. Au 19e siècle, et jusqu'à la guerre de Sécession, Memphis Tennessee était une plaque tournante de la traite des esclaves.

HEMLOCK (ciguë) est le poison qui aurait emporté Cléopâtre, et donc symbole de mort violente et politique. En posant ce mot à côté de celui de Memphis, Basquiat fait un nouveau lien entre passé et présent puisque c'est dans cette ville du Tennessee que Martin Luther King Jr a été assassiné.

SICKLE (faucille) : le mot est écrit trois fois au-dessus et en dessous de l'image de l'outil agricole qui ressemble curieusement à la forme du bateau tel qu'il était représenté dans l'art pariétal. La faucille est l'instrument qui permet de nourrir les hommes, grâce à la récolte de blé, mais aussi de couper des têtes, le cas échéant.

En intitulant son œuvre El Gran Espectaculo (le grand spectacle), Jean-Michel Basquiat décrit son rapport à l'histoire et à toutes les thématiques qu'il aborde comme un grand spectacle pictural plus que comme une vérité révélée.

El Gran Espectaculo. Estimation de départ : 45 000 000 $

 

21st Century evening sale
Christie's New York
15 mai, 19h
Christie's New York
20 Rockefeller Plaza

www.christies.com

 

Gilles Bechet

Rédacteur en chef

Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT

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